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ReportageNuit debout

Comment va Nuit debout ? Elle va bien !

En ce 15 mai, la joie et l’énergie irradiaient la place de la République. Discussions, démocratie, partage, luttes - et l’internationalisation qui s’amorce. Récit d’un dimanche heureux.

-  Paris, reportage

Comment va Nuit debout ? Nuit debout va bien. Dimanche 15 mai, c’était la grande foule, place de la République. On débarque en fin d’après-midi. A l’ouest de la statue, un concert s’achève. « Qui était-ce ? - Danakil ». Un groupe de reggae. La foule se disperse. Mais il y a du monde partout.

Tiens, voici un camarade engagé dans la lutte contre les déchets nucléaires. Il prépare une action contre le passage en douce d’une loi facilitant la construction du centre Cigéo de déchets nucléaires. Il me raconte aussi comme l’Ecole des Beaux-arts a été évacuée samedi matin
 : « Ceux qui ont lancé l’occupation ont été dépassés par l’affluence, ils n’ont pas assuré. C’est triste, on a besoin d’un tel lieu ».

Sur le sol, des personnes ont installé deux immenses banderoles peintes, longues de plus d’une dizaine de mètres : l’une arbore des drapeaux et des messages de tous les pays du monde, l’autre des milliers de mains de couleur.

Une dame m’aborde et me demande des nouvelles de Reporterre : ça va bien, merci, grâce à tous les lecteurs et lectrices qui nous soutiennent. Elle part au Lieu dit, dans le XXe arrondissement, suivre un concert de Riton la Manivelle.

Des gens, partout, de bonne humeur, assis, debout, des vendeurs de canettes de bière, des gamins roms qui mendient, des stands au long de la place, ça discute partout, avec ou sans commission.

Je m’arrête au stand de « Prison par terre ». Victor m’explique : « On ne peut pas parler de ’Prison debout’, les gens sont enfermés, ils sont bloqués ». L’enjeu de Prison par terre, (ici sa page wiki pour en savoir plus) : remettre en cause l’enfermement, qui est devenu un moyen de « dompter les pauvres ». Elle sert de moyen de contrôle social plus que de lutte contre l’insécurité.

Je me retrouve à discuter avec quelqu’un qui passe par là, il s’appelle Joël. Il pense qu’en ce moment, les idées suivent un processus d’émergence : « Wikipedia, l’économie collaborative... Nuit debout est dans ce fil. » Il imagine une démocratie qui s’appuierait sur les nouvelles techniques numériques, avec par exemple un vote par points : on dirait 6/10 pour M. X, 7/10 pour Mme Y, etc., et à la fin, on compterait le nombre de points cumulés. Pour Joël, « la clé de voûte du changement, ce sont les informaticiens. Ils sont la moelle épinière du système ».

Joël : « Les informaticiens sont la moelle épinière du système »

Plus loin, par terre, la commission Liberté d’expression discute. Le thème, inscrit sur le carton par terre : « La violence est-elle un moyen d’expression inévitable dans la lutte de Nuit debout ? »

De l’autre côté de la place, ça s’empaille sévèrement ! A un stand de soutien aux populations syriennes (« Commission pour la liberté des prisonniers politiques et pour l’arrêt des massacres en Syrie »), la discussion est vive. Elle tourne autour du soutien au dictateur Assad, face à Daech.

Je passe voir Sébastien, à la tente des SDF Nomades Debout. « On a rendez-vous à l’Hôtel de ville le 24 mai, m’explique-t-il. On ira avec Droit au logement. Nos revendications : pouvoir utiliser les logements vacants, avoir des toilettes gratuites, pouvoir s’inscrire au CCAS [Centre communal d’action sociale] quand on arrive en ville. »

A côté de la table de la commission Ecologie Nuit debout s’est installée une table de décroissants, avec Brig, qui présente des numéros du mensuel écologiste Silence.

On discute de la petite interview de Virginie Oks, « Peut-on vivre sans soutien-gorge ? », que Reporterre a publié la veille et qui suscite beaucoup d’intérêt. « Il faut aussi parler de l’érotisation, et de la domination masculine », dit Brig. Entendu, on y reviendra.

Plus loin, deux garçons proposent de « dégoogliser » Internet. Ouf, ça c’est de l’utopie ! Intéressant, en tout cas. Leur site est ici.

Gros succès à la commission France-Afrique, beaucoup de monde aussi à Biblio Debout, idem à la table de la commission Ecologie Nuit debout, qui propose une Grainothèque : c’est comme dans une bibliothèque, mais avec des semences à la place des livres.

Mais on discute aussi de sujets moins champêtres : une militante de quartier interpelle un membre de la commission sur l’islam. Elle vit à Bagneux : “On subit une pression religieuse insupportable, qui a une fin politique. Ils font de l’islamophobie leur cheval de bataille, et ne font rien d’autre, ils ne viennent jamais quand on se bagarre sur le logement". Son interlocuteur lui répond : "Le discours islamophobe venu d’en haut a produit son contraire. Il a été instrumentalisé par Valls et les médias, on n’est pas obligé de les suivre." La militante n’est pas convaincue.

L’entrée principale de la bouche de métro avait été fermée, après des feux de poubelles, le 1e mai :

Feu de poubelles le 1 mai au soir, métro République

Elle a été repeinte.

Plus loin, la commission Antispécisme est très animée.

Un concert s’organise sur quelques marches. « Nous venons de Carcassonne », indique le carton, si vous voulez nous aider pour le voyage... Merci !"

Ils ont une bonne pêche. Ecoutez :

Tiens, le Roi de l’univers est là, lui aussi. Je l’interroge : « Pourquoi venez-vous à Nuit debout ? »

Il est 18h30, l’assemblée générale bat son plein. Combien de monde ? Beaucoup. Dans les deuxmille personnes. Marion, de la commission Internationale, fait écouter les duplex de Londres, Barcelone, Messine. Car aujourd’hui, 15 mai, date anniversaire du lancement des Indignados en Espagne en 2011, c’est Global debout, la tentative d’occuper des places publiques dans tous les pays. De Londres, on entend : « Vous êtes une inspiration pour le monde ». De Messine : « Vous nous faites complètement rêver ». A Barcelone, il y a trop de bruit sur la place pour qu’on puisse entendre celui qui appelle.

La facilitatrice propose une « discussion de voisinage » : « Tournez-vous vers votre voisin de gauche, et demandez-vous quel message vous enverriez de Nuit debout à une autre ville ».

Je me tourne vers mes voisins, on n’a pas d’idée de message, mais on commence à discuter de Nuit debout. Pour Anthony, il s’agit de « reprendre nos vies en main. Ensemble, l’espoir est possible, on peut casser la résignation. Je viens à Nuit debout pour renouer avec l’espoir, recréer du lien, pour discuter de la société, de comment on la reconstruit. Il y a ici un art de vivre rafraichissant après la chape de plomb des attentats de l’an dernier ».

Christophe est « agréablement surpris par ce qui se passe ici. Je viens parce que la politique ne devrait pas être professionnelle. Dans la démocratie grecque, tout le monde avait le droit de parler. Aujourd’hui, les professionnels de la politique se conduisent mal. ».

On discute pas mal de temps, de la Commune de 1871, de la ré-appropriation en Argentine, du sexisme, des médias. Christophe nous prend en photo et fait une petite interview : il anime un site, Les humains de Nuit debout, nourri des visages et des paroles des quidams qui se passent place de la République. De son côté, Anthony participe à Debout place des Fêtes, un Nuit debout dans un des quartiers les plus populaires de Paris, où l’on se retrouve tous les samedi à 16 h (voir aussi leur page Facebook).

Anthony et Christophe, bien debouts

Pendant la discussion, l’Assemblée suit son cours animé. Voilà maintenant l’animateur qui demande à tout le monde de mettre un genou à terre, et de se lever, pour offrir une belle photo pour les dizaines de photographes qui sont face à la foule. Trois, deux, un - zéro ! Tout le monde saute en criant de joie.

Un autre tour de la place - tiens, près d’Archi debout, une cabane de bambous a été édifiée, ornée de fleurs de papier crépon, des enfants y jouent tranquillement.

Je croise Jon Palais, d’ANV Cop21, le mouvement non-violent pour le climat, qui a mené une belle action à Pau, en avril contre l’industrie du pétrole. Il est perplexe devant Nuit debout : « Il y a un proverbe qui dit : ’Si vous n’avez pas de stratégie, c’est que vous êtes dans la stratégie de quelqu’un’ . » Pour lui, pas d’hésitation sur la question de la violence : c’est non. « Elle ne sert que le pouvoir ».

Voici Marion, de la commission Internationale : « Avec Global debout, on veut lancer des mouvements dans toutes les villes. Ca prend en Espagne : quarante villes démarrent. Et à Berlin, Londres, Milan, Bruxelles... Regarde la carte. Il manque une étincelle pour que les gens descendent dans la rue. On a reconnecté des réseaux qui étaient en silence. » Comment va Nuit debout ? « Elle monte et elle descend. Aujourd’hui, c’est incroyable. En tout cas, les gens travaillent ensemble et ils vont donner suite, quoi qu’il arrive ».

Près de la statue, un gars est allongé, tranquille, il regarde son portable, il n’a pas peur qu’on le heurte, qu’on lui marche dessus, il a confiance. Pas peur. Plus de peur. Nuit debout.


Pour suivre le mouvement Nuit debout :

-  Nuit Debout sur Internet : les liens, les adresses

-  Le dossier de Reporterre sur Nuit debout

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