Poète maudit des mathématiques, génie intransigeant et solitaire, Alexandre Grothendieck est mort le 13 novembre 2014, à l’âge de 86 ans. Le mathématicien mythique laissait ce que nombre de ses pairs considèrent comme la contribution la plus importante du XXe siècle à cette sorcellerie des nombres, des fonctions et des formes qui leur tient lieu de discipline.
Les méandres de la pensée du maître sont cependant encore largement inexplorés. Volontairement retiré de la communauté scientifique dès le milieu des années 1970 et retiré du monde dès le début des années 1990, Alexandre Grothendieck n’a jamais cessé d’écrire, et ces dizaines de milliers de pages forment une vaste terra incognita partagée entre la géométrie algébrique, la théorie des groupes, la philosophie ou encore l’écologie radicale.
Une part importante d’entre elles va être enfin portée à la connaissance des mathématiciens, des historiens des sciences, des épistémologues. L’université de Montpellier a annoncé, mercredi 17 juin, qu’elle allait numériser environ 20 000 feuillets manuscrits conservés depuis le milieu des années 1990, des textes mathématiques, des correspondances, des écrits littéraires ou philosophiques parfois empreints de mysticisme. Pour l’essentiel, ces pages ont été rédigées entre le début des années 1970 et les années 1980. Alexandre Grothendieck venait de quitter le Collège de France pour enseigner à l’université de Montpellier.
Exil en Ariège
Le mathématicien disait alors ne plus vouloir participer activement à la recherche scientifique, considérant que celle-ci avait perdu son éthique. « En réalité, il n’a jamais arrêté de faire des mathématiques : il avait simplement cessé de participer à la vie de la communauté des mathématiciens », dit Jean Malgoire, professeur à l’université de Montpellier, qui fut son élève à cette époque.
Au début des années 1990, Alexandre Grothendieck confie à son élève plusieurs cartons contenant des milliers de pages, avant de s’exiler dans un petit village des Pyrénées. Le mathématicien veut disparaître du monde et ne plus recevoir aucune visite – pas même celle de ses enfants. Il conserve, autant que possible, le secret de son exil – le bourg de Lasserre (Ariège), connu de quelques rares proches. « En 1995, je suis allé le voir pour lui demander l’autorisation d’éditer un des manuscrits qu’il m’avait laissés, intitulé La Longue Marche à travers la théorie de Galois, raconte Jean Malgoire. Il a été très surpris de me voir, mais m’a accueilli et m’a signé une lettre m’autorisant à faire publier tous les documents qu’il m’avait confiés quelques années plus tôt. »
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