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NGUYEN LE répond aux questions de DIEN DAN |
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Nguyen
Le:
Je
me considère comme musicien de jazz d'aujourd'hui, avec toute l'ouverture
que désigne pour moi le mot Jazz. Le jazz est en effet une
musique ouverte, qui est née d'une diaspora (celle des esclaves
noirs en Amérique) et qui s'est toujours nourrie de mélanges
(l'harmonie de la musique française du 19e -Debussy Ravel, la musique
brésilienne, afrocubaine, etc...) Le jazz est même une des
musiques les plus ouvertes par sa part essentielle d'improvisation et d'interaction
entre les musiciens. Jazz d'aujourd'hui car, bien qu'ayant appris la tradition
du jazz (les standards, le be-bop), je cherche à créer une
musique qui est à la fois le reflet de ce que je vis tous les jours
et une perspective d'avenir sur ce que le monde pourrait être ou
devrait être. Il y a quelques années encore je détestais
ce concept de World Music. C'était et cela reste encore quelquefois
une entreprise commerciale de producteurs occidentaux qui cherchent la
nouveauté en pillant sans respect les cultures du Tiers monde. J’ai
changé d'avis car maintenant la vraie World Music est faite
par des musiciens du Tiers Monde, vivant en Occident ou pas, qui se sont
accaparés les instruments et les procédés occidentaux
pour créer une nouvelle culture contemporaine à partir de
leurs propres traditions.
Dien
Dan:
Dans
vos compositions récentes, depuis l’album Tales from Vietnam,
il y a rencontre du jazz avec la musique traditionnelle vietnamienne, un
phénomène inédit. A partir de deux horizons musicaux
apparemment très éloignés, qu’avez-vous mis en commun
ou rapproché ? Quelles sont les pistes, issues de ces deux musiques,
que vous avez empruntées pour créer cette rencontre? Qu’avez-vous
apporté de votre expérience (musicale) personnelle à
cette rencontre?
Nguyen
Le:
Lorsque
j'ai commencé Tales from Viet-Nam, je voulais avant tout
retrouver mes racines, cette part vietnamienne qui est en moi et que j'ai
perdue parce que je suis né en France, par méconnaissance
de moi même et par immersion dans la société française.
Les premiers morceaux que j'ai choisis ont donc été ceux
que je connaissais par coeur au fond de moi-même, que ma mère
me chantait ou qui avaient bercé mon enfance. J'ai relevé
tous ces morceaux pour écrire, avec quelquefois la collaboration
de mon amie Dominique Borker, des arrangements jazz autour de ces mélodies.
L'idée était de garder la tradition la plus pure possible
pour la placer dans un écrin d'harmonies et de rythmes jazz. Rencontrer
et travailler avec Huong Thanh et Hao Nhien a été essentiel
pour respecter cette idée, et adapter les arrangements quand il
fallait. La musique viet est basée sur des modes pentatoniques,
ces modes existent aussi en jazz et permettent des harmonisations très
larges. Il y a aussi dans la musique viet une émotion qui est très
proche du Blues, cette manière d'exprimer une profonde tristesse
tout en la métamorphosant en beauté. Je me considère
comme l'architecte de cette rencontre, car il ne s'agit pas seulement de
musiques mais aussi de musiciens qui se rencontrent; mon travail d'écriture
est là pour tracer les voies de cette rencontre, pour que chacun
puisse exprimer le meilleur de soi dans ce contexte.
Dien
Dan:
L’intégration
de la musique vietnamienne dans vos oeuvres correspond en quelque sorte
à un voyage culturel au pays de vos origines, un pays que vous découvrez
presque. Ce voyage a peut-être donné l’occasion de vous construire
une identité vietnamienne. Quittons un moment la musique, et parlez-nous
des joies et déceptions au cours de ce voyage de découverte.
Nguyen
Le:
Je
n'ai eu que des joies lors de ce voyage culturel: celle de rencontrer et
travailler avec Huong Thanh et Hao Nhien, c'est-à-dire de trouver
de nouveaux amis; celle de faire découvrir le Vietnam à mes
amis musiciens français, au public qui vient à nos concerts
et achète mes CD (plus de 15 000 CD Tales from Viet-Nam vendus
dans le monde, en Europe et aux Etats-Unis); celle de savoir que quelqu'un
comme Tran Van Khê, symbole de la tradition, a adoré le disque,
etc... Ma seule et grande déception est de n'avoir pas pu jouer
cette musique au Vietnam.
Dien
Dan:
Avant
et après Tales from Vietnam, votre guitare est allée
dans des champs aussi divers que ceux des musiques afro-antillaises, indiennes,
coréennes, maghrebines... Ces expériences s’enrichissent
mutuellement, mais n’y-a-t-il pas risque de dispersion? Dans un interview,
vous avez dit: " Je cherche à faire sonner ma guitare de manière
ethnique, pas seulement vietnamienne. " pour parler de votre collaboration
avec le batteur algérien Karim Ziad, après l’album Tales
from Vietnam. Pouvez-vous développer cette réflexion?
Nguyen
Le:
Je
reviens à cette idée de redéfinition de la World
Music. La vraie World Music, c'est en fait celle que la génération
des enfants d'immigrés, dont je fais partie, est en train de créer.
Parce que nous sommes nés ou parce que nous vivons ici, nous ne
sommes plus réellement vietnamiens , africains, indiens, etc...
Nous sommes de nouveaux vietnamiens, africains, indiens... Nous avons notre
identité à construire à partir de ce que nous vivons
aujourd'hui, et cette identité ne sera jamais celle de nos parents.
Cette nouvelle génération a plein de choses à dire,
à partager. Je multiplie ces expériences inter-culturelles
parce que d'abord les cultures des autres me fascinent et j'apprends tant
de choses à leur contact, ensuite il y a une fraternité certaine
dans ces situations où l'on découvre des correspondances
inattendues entre personnes de cette génération. Il y a des
contextes musicaux dans lesquels je ne peux pas sonner ouvertement "vietnamien",
alors j'emprunte des styles chez les autres cultures, tout en gardant mon
émotion propre. Je me sens Vietnamien, mais d'aujourd'hui : Je me
dois de connaître les autres cultures, c'est au contact de leur étrangeté
que je me sentirai encore plus vietnamien.
Dien
Dan:
Parlez-nous
de votre prochain album.
Nguyen
Le:
Le
prochain CD, Moon and Wind, qui sortira fin septembre, n'est en
fait pas sous mon nom, mais sous celui de Huong Thanh. J'en ai fait toute
la production chez moi, dans mon home studio. Hao Nhien ainsi que Duong
Tam (musicien viet aux Etats-Unis) ont joué, ainsi que quelques
musiciens de jazz. Ce n'est pas un disque de jazz, avec des solos partout
et des rythmes débridés. C'est à nouveau des arrangements
sur des mélodies traditionnelles vietnamiennes, mais plus simples
que dans Tales from Vietnam. Il s'agit de mettre en valeur Thanh,
et de coller encore plus au sens de chaque chanson. Les morceaux sont :
Co La, Ru con mien Bac, Sam Huê Tinh, Bai Ca tren Nui, Ly Qua Cau,
Bai Ca Ru Con, Ly Con Sao, Ho Huê, etc...
Dien
Dan:
Quels
sont vos projets ?
Nguyen
Le:
Je
suis en train d'écrire mon prochain CD. Il est trop tôt pour
dire quelque chose dessus. Je sais seulement que je veux inviter des musiciens
de tous les pays autour de ma musique. Le CD devrait sortir en Janvier
2000. Outre quelques concerts avec Maghreb and Friends, mon groupe
actuel, je pars en tournée avec mon trio en Allemagne/Suisse/Autriche
en Mai.
Dien
Dan:
Un
futur concert au Vietnam ?
Nguyen
Le:
Je
désespère d'aller jouer au Vietnam, d'autant que nombre de
mes amis musiciens (Sixun, Michel Portal, Laurent de Wilde, etc...) y sont
allés, dans le cadre de l'AFAA (1). Je ne suis pas allé au
Vietnam depuis 1979. Si quelqu'un m'entend, je suis prêt !!!
(*)
Association Française d'Action Artistique
Paris,
Avril 1999 - Copyright Nguyen Le & Dien Dan, all rights reserved