De la Cochinchine au Tonkin, des prêtres en mission : épisode • 1/4 du podcast Indochine, histoire d'une colonie française

Illustration du temple de Confucius de Hanoï lors de l'expédition française au Tonkin pour l'hebdomadaire "Rivista Illustrata", 28 janvier 1883 ©Getty - DEA / Biblioteca Ambrosiana
Illustration du temple de Confucius de Hanoï lors de l'expédition française au Tonkin pour l'hebdomadaire "Rivista Illustrata", 28 janvier 1883 ©Getty - DEA / Biblioteca Ambrosiana
Illustration du temple de Confucius de Hanoï lors de l'expédition française au Tonkin pour l'hebdomadaire "Rivista Illustrata", 28 janvier 1883 ©Getty - DEA / Biblioteca Ambrosiana
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Comment la France a-t-elle progressivement jeté son dévolu sur la péninsule indochinoise ? Quel rôle joue la religion chrétienne dans le projet colonial français ?

Avec
  • Claire Tran Maîtresse de conférences à l'Université Paris Cité, spécialiste de l’histoire du Vietnam et du catholicisme en particulier

Avant le colon, le missionnaire ! Quand il s’agit de réfléchir à l’histoire de l’Indochine comme colonie française, la question se pose de l’arrivée des Occidentaux, marchands, explorateurs, militaires, mais avant tout prêtres. Cette histoire s’écrit avec une bonne part de religion. Égaré en Indochine, comment le missionnaire fut-il accueilli ? À bras ouverts ou a-t-il été hué ? De la Cochinchine au Tonkin, en passant par l’Annam, quelle position adopter pour ces prêtres venus évangéliser ces territoires ?

Le projet colonial français en Asie du Sud-Est

La France commence à s’intéresser à l’espace asiatique à partir du règne de Louis XIV. Le projet de colonisation français de la péninsule indochinoise naît à la fin du 18e siècle, alors que la France voit ses intérêts en Inde décliner. Deux possessions sont acquises en 1787-1788 : le port de Tourane (aujourd'hui Da Nang) et l’archipel des îles Poulo-Condore (aujourd'hui Con Dao). Elles sont néanmoins perdues au moment de la Révolution française, entre 1793 et 1795. La politique intérieure de la France, très agitée au début du 19e siècle, et les débuts de la conquête de l’Algérie, en 1830, empêchent la concrétisation du projet colonial français dans la péninsule, qui apparaît fort lointaine, et dont la conquête serait trop coûteuse.

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Des missionnaires chrétiens au Dai Viêt

Dès le 16e siècle, des missionnaires chrétiens espagnols, italiens et portugais parviennent jusqu’à la péninsule indochinoise. Dans le royaume du Dai Viêt, les missionnaires découvrent un système confucéen en place depuis le 10e siècle, qui régit l’ensemble de la société. Très centralisé, l’État est organisé autour de mandarins qui sont dirigés par l’empereur. "On peut parler d'acculturation deux siècles et demi avant que les Français n'arrivent", observe l'historienne Claire Tran. "On a un christianisme vietnamien très ancien." Les missionnaires français, eux, arrivent plutôt au 17e siècle.

Pour les missionnaires, l'évangélisation du peuple vietnamien doit passer par une connaissance approfondie de la culture confucéenne, notamment pour montrer à la population locale la compatibilité du christianisme avec le confucianisme. Les jésuites s’emploient ainsi à apprendre le vietnamien et le chinois. Ils élaborent avec les Vietnamiens un système de transcription de la langue vietnamienne en alphabet romain, le chu quôc ngu, et proposent de nombreuses traductions. Parmi eux, le jésuite avignonnais Alexandre de Rhodes (1591-1660) joue un rôle central. Selon Claire Tran, Alexandre de Rhodes pense que le royaume du Dai Viêt ne peut pas être dominé, car le pouvoir y est centralisé et très fort : "Il propose une autre vision : s'acculturer et se soumettre aux pouvoirs locaux, et non s'imposer (en tant que) puissance impériale, comme l'a fait le Portugal dans d'autres pays." Alexandre de Rhodes suscite des conversions à la cour comme dans le peuple. Il doit néanmoins affronter la méfiance de l’élite mandarinale, et finit par être banni du royaume.

Parmi les différentes missions européennes, les Missions Étrangères de Paris (MEP), fondées en 1663, s’imposent peu à peu. Elles forment des prêtres missionnaires en France, qu’elles envoient ensuite dans les pays non-chrétiens d’Asie pour qu’ils les évangélisent, notamment en encourageant la formation d’un clergé indigène.

L'évangélisation du Dai Viêt, entre tolérance et persécutions

L’évangélisation du Dai Viêt se fait dans un contexte relativement apaisé, avant la colonisation de l’Indochine par la France. Le pape Alexandre VII recommande aux missionnaires de respecter à la fois le pouvoir en place et les traditions religieuses locales. Néanmoins, les élites confucéennes rejettent rapidement le christianisme. Des persécutions antichrétiennes ont lieu dès le 18e siècle et s’accentuent au XIXe siècle. "L'expérience des martyrs est très importante dans l'histoire des Vietnamiens", rappelle Claire Tran. "117 sont béatifiés au début du 20e siècle : 11 missionnaires espagnols, 10 missionnaires français. Tous les (autres) étaient vietnamiens, ils étaient des milliers."

Le Second Empire puis la Troisième République prennent pour prétexte ces persécutions religieuses afin de justifier la conquête de l’Indochine. Les prétentions coloniales françaises sur le Dai Viêt ne seraient ainsi qu’une manière de protéger les missionnaires français et de défendre la minorité religieuse chrétienne opprimée. En réalité, il s’agit pour la France de prendre pied en Extrême-Orient, et même, à terme, d’étendre sa politique impériale vers la Chine.

Pour en savoir plus

Claire Tran est maîtresse de conférences en histoire de l’Asie du Sud-Est à l’Université Paris Cité. Elle est spécialiste de l’histoire du Vietnam et en particulier du catholicisme au Vietnam.

Publications :

  • (Éd.) Master of their own Destiny: The Asians in World War One, NUS Press, à paraître (en anglais)
  • Codirigé avec Christine Cabasset, Asie du Sud-Est 2020, Bilan, enjeux et perspectives, Les Indes Savantes/Irasec, 2020

Références sonores

  • Lecture par Jeanne Coppey d’un extrait des instructions du pape Alexandre VII aux vicaires, 1659
  • Archive du père Felipe Gomez, Les Chemins de la connaissance, France Culture, 16 février 1996
  • Lecture d’un extrait des édits d’Alexandre de Rhodes, Les Chemins de la connaissance, France Culture, 16 février 1996
  • Archive de Maurice Percheron, Heure de culture française, RTF, 10 mars 1953
  • Archive sur la salle des martyrs au siège des Missions Étrangères de Paris, France Inter, 10 novembre 2013
  • Archive du père Parelles à propos des campagnes françaises, ORTF, 8 février 1971
  • Arche de Jean Chesneaux, France Culture, 20 janvier 1969
  • Archive de Pierre Dumayet au Vietnam, ORTF, 1971
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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