Histoire
Hôtels mythiques d'Asie du Sud-Est

Hôtels mythiques d'Asie : le Metropole à Hanoï

L'Hôtel Metropole à Hanoi. (Source : Hanoi City Break)
L'Hôtel Metropole à Hanoi. (Source : Hanoi City Break)
Monuments incontournables ou palaces surannés, l’Asie du Sud-Est ne se comprend pas tout à fait sans ses hôtels mythiques. Témoins d’un pan d’histoire coloniale, de sa splendeur et de sa décadence, ils furent parfois un carrefour d’espions durant la guerre froide. Jacques Bekaert nous emmène aujourd’hui à l’Hôtel Metropole à Hanoï.
Automne 1983. Ma première visite a Hanoï grâce au ministre des Affaires étrangères du Vietnam, Nguyen Co Thach. Je l’avais rencontré aux Nations Unies, ainsi qu’à New Delhi lors d’un sommet des Non-Alignés.
« – Pourquoi est ce que vous ne venez jamais nous voir ?
– Monsieur le ministre, j’ai déjà fait une dizaine de demandes de visa et la reponse, quand il y en a une, est soit : « Bientôt », soit : « On etudie la question. »
-Je prends note et vous promets qu’avant la fin de cette année, vous serez à Hanoï, et ensuite au Cambodge. »
Il avait tenu parole.
Par une grise matinée d’automne, me voici débarquant a l’aéroport de No Bai. « On va vous loger dans le meilleur hôtel de la ville, pres du grand lac. » Tout le monde m’avait mis en garde. Une fois là, pas moyen de sortir. Il n’y a pas de taxi, c’est loin de tout et l’hôtel est plein de rats affamés.
« – C’est tres gentil, mais je préfère habiter en ville, au Thong Nhat si possible.
– Ça va être très difficile, l’hôtel est toujours plein et nous n’avons pas réservé.
– Nous y sommes, donnez-moi dix minutes. »
Le lobby était en fin de matinée plutôt sombre, l’éclairage réduit au minimum. La réceptionniste était jolie et timide. Je la saluai avec un grand sourire. « – Madame, please, une chambre, n’importe laquelle. – Bien, mais attendez midi, cette dame va partir. » A midi, la dame s’en fut. « – Elle est l’espionne du service de sécurité. Faites attention à elle. Je vais vous donnez la « chambre belge », c’est une des plus belles. »
Triomphant, je mis mon guide – qui bientôt deviendrait un ami – au courant.
Le Metropole, d’un style franco-colonial, ouvrit en 1901, tout près du petit lac de Hoan Kiem. Jane Fonda y sejourna en 1972 lors d’un voyage qui lui fut longtemps reproché, en pleine guerre du Vietnam. Bien avant elle, Charlie Chaplin et Paulette Godard y sejournèrent en 1936, en voyage de noce. Somerset Maugham y ecrivit The Gentlemean in the Parlour et Graham Greene, en 1951, y redigea une partie d’un Americain bien tranquille. A moins qu’il y fut comme membre du MI6 ?
Le Vietnam devenu independent, le Metropole devint le Thong Nhat ou « Réunification ». Et c’est là que je pris possession de la « chambre belge », ainsi nommée car elle était la plupart du temps louée à un compatriote, homme d’affaire, un pionnier dont je fis la connaissance plus tard. Une chambre immense, au mobilier austère, lit, table, une chaise, plus un fauteuil branlant. La salle de bain, elle aussi gigantesque, était occupée par une baignoire d’un autre âge, et un appareil destiné à chauffer l’eau, un cadeau de l’URSS.
« Allumez le une ou deux heures avant de prendre votre bain », me conseilla la receptioniste. Volontairement, je n’avais pris avec moi aucune provision, sinon une boîte de chocolat belge pour distribuer. Et les dernières livraisons de Time et de Newsweek. Que je lisais pendant le diner. Dîner servit de 18h45 à 19h15. Menu immense, mais qui faisait partie du décor car le vrai menu tenait sur une petite feuille :
« Hors d’oeuvre vietnamien
Porc à la russe [baignant dans l’huile] Fruits de saison [en fait une banane] Boisson : eau petillante russe. »
Elle avait un arrière-goût de petrole. Une spécialité du Caucase peut-être.
Mais dès le premier jour et ma premiere promenade dans les environs, je tombais amoureux de Hanoï. Je devins un habitué du Thong Nhat, de son bar où le verre de vodka local coutait un dong ! Je pris goût à un type de fromage soviétique, friable. Je fus aussi un client fidèle des cyclo-pousse sur le trottoir d’en face.
Et puis un jour, on m’a dit: « Nous allons fermer, car nous sommes racheté par un groupe français. » Où aller au même prix ? Mon guide me recommanda l’hôtel militaire, dans un quartier très populaire, pas très loin de la riviere Rouge.
Lors d’un congres du Parti communiste vietnamien, en plein été, un petit Père Noël rouge fit son apparition sur le comptoir de la réception.
« – Que fait le Père Noel en cette saison?
– Il est rouge, comme le Parti.
« 
Et le lendemain, on avait collé sur le ventre rebondi du Père Noel une faucille et un marteau. Quant au Thong Nhat redevenu Metropole, il devint inabordable et dans cette ville où il y a tant d’artistes de talent, on trouve sur les murs des reproductions de peintres impressionnistes français.

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A propos de l'auteur
Jacques Bekaert (1940-2020) fut basé en Thaïlande pendant une quarantaine d'années. Il est né le 11 mai 1940 à Bruges (Belgique), où sa mère fuyait l’invasion nazie. Comme journaliste, il a collaboré au "Quotidien de Paris" (1974-1978), et une fois en Asie, au "Monde", au Far Eastern Service de la BBC, au "Jane Defense Journal". Il a écrit de 1980 a 1992 pour le "Bangkok Post" un article hebdomadaire sur le Cambodge et le Vietnam. Comme diplomate, il a servi au Cambodge et en Thaïlande. Ses travaux photographiques ont été exposés à New York, Hanoi, Phnom Penh, Bruxelles et à Bangkok où il réside. Compositeur, il a aussi pendant longtemps écrit pour le Bangkok Post une chronique hebdomadaire sur le vin, d'abord sous son nom, ensuite sous le nom de Château d'O. Il était l'auteur du roman "Le Vieux Marx", paru chez l'Harmattan en 2015, et d'un recueil de nouvelles, "Lieux de Passage", paru chez Edilivre en 2018. Ses mémoires, en anglais, ont été publiées en 2020 aux États-Unis sous le titre "A Wonderful World".