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La question du respect des minorités au cœur du voyage du pape en Birmanie

Aborder le sort fait aux Rohingya sera l’un des points délicats de la visite qu’effectue le souverain pontife à partir de lundi dans le pays. François se rendra ensuite au Bangladesh.

Par  (Rangoun, envoyée spéciale)

Publié le 27 novembre 2017 à 06h40, modifié le 27 novembre 2017 à 10h39

Temps de Lecture 5 min.

Affiche annonçant la venue du pape François à Rangoun (Birmanie), le 26 novembre.

Des Eglises pauvres, des minorités auxquelles on mène la vie dure, des pays en périphérie de grandes puissances, des hommes directement menacés par le changement climatique. La visite que le pape François effectuera en Birmanie et au Bangladesh, du 27 novembre au 2 décembre, ne drainera sans doute pas des foules immenses, dans ces pays à majorité bouddhiste pour le premier, musulmane pour le second. Mais elle réunit un grand nombre des thématiques centrales de son pontificat.

Avec, entre les deux pays, le drame des Rohingya, chassés par centaines de milliers de l’ouest de la Birmanie vers le Bangladesh par des forces armées accusées par l’ONU et par les organisations humanitaires de pratiquer un nettoyage ethnique à coup d’exécutions sommaires, de viols et de destruction de villages.

Entre deux déplacements, en septembre (Colombie) et en janvier 2018 (Chili et au Pérou), dans une Amérique latine largement chrétienne, le chef de l’Eglise catholique renoue, en Asie, avec la question de la coexistence des religions et du respect des minorités, qui était déjà au cœur de sa visite en Egypte, en avril. A ce titre, la Birmanie est un cas d’école. Dans ce pays très majoritairement bouddhiste (88 %), les églises chrétiennes attirent 6,2 % de la population. Les quelque 660 000 catholiques (1,3 %) appartiennent pour la plupart à certaines des 135 minorités ethniques officiellement recensées (30 % de la population). Mais le groupe qui concentre l’attention aujourd’hui, c’est évidemment les Rohingya.

Depuis le début de cette crise, en octobre 2016, le pontife argentin a déjà exprimé à trois reprises l’attention qu’il porte au sort de ces musulmans auxquels l’Etat birman ne reconnaît pas la nationalité. L’attaque de plusieurs postes-frontières de l’Etat de l’Arakan, dans l’ouest de la Birmanie, par des combattants de cette minorité musulmane avait alors été suivie d’une violente répression militaire et policière contre des populations civiles. Des dizaines de milliers de personnes avaient déjà fui les villages, une partie d’entre eux rejoignant le Bangladesh voisin. Depuis la deuxième vague de répression de l’été 2017, ce sont 600 000 Rohingya qui auraient suivi leurs traces.

Les Rohingya, mot tabou

En février, place Saint-Pierre, François avait demandé aux fidèles de prier « pour nos frères et sœurs rohingya », « torturés, tués [depuis des années], simplement parce qu’ils conservent leurs traditions, leur foi musulmane », avait-il dit lors de l’audience générale. Le 27 août, il avait demandé que les « Rohingya » puissent obtenir « tous les droits » dont l’Etat birman les prive.

Que dira-t-il d’eux sur place, à Rangoun et à Naypyidaw, la capitale politique ? Les évêques birmans lui ont demandé de ne pas employer la dénomination de Rohingya. Dans leur grande majorité, les Birmans voient dans ces populations musulmanes des migrants venus de l’étranger – bien qu’elles soient pour beaucoup présentes depuis des générations – et les désignent par le terme de « Bengalis ».

Comme le pape, l’archevêque de Rangoun, Mgr Charles Maung Bo, fait cardinal par François, en janvier 2015, n’hésite pas pour sa part à employer ce mot tabou pour les dirigeants birmans et à protester contre le traitement qui leur est infligé. Mais « si le pape François utilisait [sur place] le mot Rohingya, cela voudrait dire qu’il considère ces musulmans comme un groupe ethnique [birman]. Et cela mettrait les gens en colère », a fait valoir Mgr Alexander Pyone Cho, évêque de Pyay, cité le 4 octobre par Eglises d’Asie, l’agence d’information des Missions étrangères de Paris, qui œuvrent à l’évangélisation des pays non chrétiens.

Or, le chef de l’Eglise catholique, premier pape à se rendre au Myanmar [nom officiel de la Birmanie], ne fait pas ce déplacement pour provoquer un incident dans un pays avec lequel le Vatican vient d’établir des relations diplomatiques, en mai, de surcroît proche de la Chine.

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D’abord parce que les communautés chrétiennes birmanes pourraient en faire les frais. La plupart appartiennent à des ethnies minoritaires, dont sont issus des mouvements de guérillas, et qui ont elles aussi subi la répression du pouvoir central. « Ce qui s’est passé pour la population rohingya, c’est ce qu’ont supporté toutes les minorités pendant la dictature [1962-2011] sans que personne ne dise rien pour eux, fait valoir le père Bernardo Cervellera, directeur d’AsiaNews, agence officielle de l’Institut pontifical des missions étrangères. Ainsi il y a encore des dizaines de milliers de Karen [l’une des ethnies minoritaires du Myanmar] dans des camps en Thaïlande. »

« Les chrétiens très préoccupés »

Dans l’Etat de Kachin, à grosse composante chrétienne et où les combats ont repris en 2011 après dix-sept ans de cessez-le-feu, « il y a des tueries. Mais la communauté internationale se concentre uniquement sur les Rohingya », relevait Mgr Bo dans un entretien à Eglises d’Asie, le 24 mai. Dans cet Etat du nord du pays, environ 100 000 personnes vivent dans des camps de déplacés.

D’expérience, les minorités craignent de subir le contrecoup d’une éventuelle crispation. « Les chrétiens sont très préoccupés car si la tension avec les Rohingya continue, cela risque de leur retomber dessus », ajoute le père Cervellera. En revanche, le pape devrait être plus libre du choix de ses mots au Bangladesh, où il rencontrera un groupe de réfugiés rohingya à Dacca, vendredi.

Le deuxième élément qui pourrait conduire le pape François à une certaine prudence s’appelle Aung San Suu Kyi. Face à la répression qui s’abat sur les musulmans de l’Arakan, la première ministre de facto du Myanmar est accusée par les organisations humanitaires et par l’ONU au mieux d’apathie, au pire de couvrir par son silence l’action des militaires, qui ont conservé un poids institutionnel essentiel – leur sont réservés un quart des sièges au Parlement ainsi que les ministères de l’intérieur, de la défense et des frontières.

Or, le Saint-Siège juge que concentrer les critiques sur la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 est injuste et exonère les militaires de leurs responsabilités dans cette politique. « Les reproches faits à Aung San Suu Kyi sont un peu exagérés, estime le père Cervellera. Elle a un pouvoir très faible. Si on la critique trop, on fait le jeu de l’armée. La visite du pape, c’est pour soutenir Aung San Suu Kyi. » « Stigmatiser Aung San Suu Kyi et l’attaquer dans la presse ne sont pas des solutions de long terme. L’écueil consisterait à l’évincer du gouvernement, et cela signifierait la fin de nos aspirations à la démocratie », a argumenté Mgr Bo dans le magazine Time, le 14 septembre.

François a rencontré à deux reprises la dirigeante birmane à Rome, en mai la dernière fois. Il s’entretiendra à nouveau avec elle, mardi 28 novembre, à Naypyidaw, aussitôt après la visite protocolaire au chef de l’Etat. Et pour bien marquer qu’il distingue les différents pôles du pouvoir au Myanmar, il a ajouté à son programme initial une rencontre, lundi 27 novembre, avec le chef de l’armée, le général Min Aung Hlaing. Une occasion de plaider pour l’apaisement et d’évoquer l’application de l’accord, survenu jeudi 23 novembre, entre Aung San Suu Kyi et le ministre des affaires étrangères bangladais, Abul Hassan Mahmood Ali, afin d’amorcer le retour des réfugiés rohingya en Arakan dans les deux mois.

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