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Pourquoi le Covid-19 est aussi une maladie neurologique
Go Nakamura / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Pourquoi le Covid-19 est aussi une maladie neurologique

Explications

Propos recueillis par

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Plusieurs écrits scientifiques démontrent que le Covid-19 aurait aussi des effets neurologiques. Auteur d'une étude sur le sujet intitulée "NeuroCovid" et chercheur à l'Institut Pasteur, Pierre-Marie Lledo, livre pour Marianne ses premiers résultats.

Depuis son apparition il y a un peu moins d'un an, le Covid-19 ne cesse de bousculer les certitudes du monde scientifique. En février dernier, le virus était ainsi nommé Sars-CoV-2, pour "syndrome respiratoire aigu sévère", parce que celui-ci est responsable de troubles respiratoires. Aujourd'hui, plusieurs études tendent à démontrer que le virus aurait aussi des effets neurologiques.

En juillet, une étude parue dans la revue The Brain renforçait ces conclusions en identifiant les dommages neurologiques encourus par les malades : accidents vasculaires cérébraux (AVC), encéphalites ou paralysies.

Plus récemment, une étude de l'Imperial College of London a pointé le fait que le Covid-19 aurait des conséquences cognitives chroniques. D'après les médecins chercheurs britanniques, les personnes ayant eu une forme grave de la maladie pourraient avoir un déclin mental "équivalant à un vieillissement cérébral de dix ans". Aucune certitude, mais beaucoup de questions en suspens. "Le recul manque pour affirmer tout cela, il faut encore beaucoup de recherches", souligne Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neurosciences de l'Institut Pasteur, chercheur au CNRS et coauteur d'une étude intitulée "NeuroCovid". "On observe tout de même que chaque jour le coronavirus apparaît plus invasif et protéiforme". Pour Marianne, le chercheur livre les premiers résultats de son étude, à paraître dans les prochains jours, au regard des hypothèses émises par de nombreux chercheurs internationaux.

Marianne : Plusieurs études anglo-saxonnes mettent en évidence les effets du Covid-19 sur le cerveau, observez-vous la même chose dans votre étude ?

Pierre-Marie Lledo : Effectivement, nous avons pu observer et démontrer que ce virus ne restait pas uniquement dans les voies respiratoires, mais qu’il avait aussi une grande appétence pour le cerveau. D'abord sur des hamsters puis sur du tissu humain, nous avons constaté que cette maladie est extrêmement protéiforme.

Sait-on comment le virus se développe jusqu’au cerveau ?

Il y a plusieurs possibilités. La première, que nous avons vérifiée, est la voie nerveuse. Nous avons dans le nez des terminaisons nerveuses qui montent au cerveau et peuvent donc transmettre la contamination. Autrement dit, une fois introduit dans notre système olfactif, le virus peut atteindre le cerveau en s'accrochant à nos neurones (pour rappel, les fosses nasales abritent les cellules olfactives ainsi que les terminaisons du nerf olfactif, qui transmet le message sensoriel au cerveau, N.D.L.R.).

L'autre voie d'accès que l'on suppose est le système immunitaire. On peut imaginer que des cellules qui combattent le virus dans le corps se retrouvent contaminées et se déplacent malencontreusement dans le cerveau. C'est un peu l'image d'un cheval de Troie.

Enfin, le virus pourrait aussi passer vers le cerveau par des échanges au travers du système sanguin.

Cela signifie-t-il que le Covid-19 n'est pas seulement un virus respiratoire, mais aussi neurologique ?

Tout à fait. On a vu très vite en Chine que ce virus produisait un syndrome de détresse respiratoire, d'où son nom d'ailleurs, Sras (syndrome respiratoire aigu sévère). Mais ce n’est pas que ça. Quand ce virus est sorti de Chine, les cas dans les hôpitaux avec des symptômes autres que respiratoires ont commencé à apparaître. En Italie, les médecins ont tout de suite observé la perte de l’odorat par exemple. C'était le premier signe d’alerte qui nous montrait que ce virus avait des effets sur le système nerveux. Pendant un petit moment, on a cru que c'était des effets indirects.

A-t-on sous-estimé le risque neurologique ?

C'est certain. J’ai été parmi les premiers à le sous-estimer. Quand mes collègues m'ont proposé l'étude j’ai pensé ce n'était pas grand chose, car au début on se focalisait sur la perte de l'odorat. Le phénomène n'est pas nouveau, ça arrive avec la grippe par exemple. Les choses ont changé lorsque la perte du goût s'est ajoutée à la perte de l'odorat. Le goût est quelque chose de plus central. Les deux ensemble sont étroitement liés au cerveau.

Là, on a commencé à comprendre que le virus pouvait se retrouver dans le cerveau. Encore une fois, c'est un virus extrêmement protéiforme. Je ne veux absolument pas affoler vos lecteurs, mais on ne peut pas considérer qu'il s'agit uniquement d'une infection des poumons.

Aujourd'hui on suspecte que certaines personnes meurent, non pas de manque d’oxygène, mais à la suite d'un arrêt respiratoire entraîné par une attaque du virus des centres respiratoires automatiques ou des réponses immunitaires. Je m'explique. Nous avons à la base du cerveau des centres respiratoires automatiques, qui font que nous n'avons pas à réfléchir pour respirer. Ces systèmes de la respiration sont physiquement connectés à l’odorat. Nous avons tous fait l'expérience quand quelque chose sent mauvais, de se mettre en apnée. Ces centres respiratoires automatiques sont gouvernés par l’odorat. De fait, si le virus passe par le système olfactif, il est logique qu’il vienne attaquer le système respiratoire.

Dans les différentes études on note également une prévalence des états anxieux et dépressifs chez les patients ayant été atteints par le Covid-19. Comment l'analysez-vous ?

Partons de l'exemple de Proust, avec sa madeleine. Dès lors qu'il mange une madeleine, il est plongé dans un contexte de plaisir par rapport à des souvenirs. Le système olfactif dans le cerveau a une relation avec le système dit "limbique" des émotions. Si le virus passe par la voie olfactive il a une possibilité d'attaquer le centre de respiration et ainsi des émotions. D’où les cas de plus en plus nombreux d'états anxieux et dépressifs. Ces dernières semaines, un chiffre circule dans le monde scientifique : 20 % des sujets atteints par le virus présenteraient des troubles de la santé mentale.

Qu'est-ce qui fait que certains contractent des troubles respiratoires, d'autres des troubles neurologiques ?

Nous n'avons pas assez de recul pour le dire. Par la suite, il y aura peut-être une dimension génétique à comprendre :pourquoi avons-nous des clés d’entrées du virus qui diffèrent ? Néanmoins, il peut aussi y avoir un rapport avec la charge virale des individus. L'explication pourrait également résider dans la façon de contracter le virus. On distingue deux processus de contamination : manuporté (de la main à la bouche ou au nez) ou aéroporté (l'air respiré).

Le covid-19 a donc d'après vous clairement des effets sur le cerveau. Cela peut-il entraîner une surmortalité ?

.C’est difficile à dire. Si on a une atteinte du centre respiratoire, oui bien sûr. Ensuite on peut vivre avec des troubles anxieux. Mais s'ils ne sont pas traités, cela peut aller jusqu'à des idées suicidaires. Tout cela est difficile à évaluer. Ce qui est certain, c'est qu'une fraction non négligeable de la Covid-19 relève de troubles neurologiques. On ne meurt pas uniquement de troubles respiratoires.

De fait, doit-on changer notre façon d'appréhender la maladie, notamment lors de la prise en charge à l'hôpital ?

À l’heure actuelle on a clairement besoin de savoir si les effets neurologiques du Covid-19 sont liés à une attaque du cerveau ou si c'est un effet secondaire de la réponse immunitaire. Ces deux possibilités d'atteintes sont très différentes en termes de réponse médicale. L'une faisant usage d'antiviraux, l'autre d'anti-inflammatoires.

Par ailleurs, je pense qu'il faut être très vigilant et ne pas négliger la sphère émotionnelle. Au début on ne l'a pas vu parce que l'on considérait ça "normal" d'être troublé psychologiquement par une hospitalisation. Or il semble que cela soit plus complexe. En réalité nous sommes en train de nous rendre compte que la Covid-19 n'est pas juste une maladie aiguë. Chez certains patients elle dure, elle persiste dans l'organisme. C'est une affection chronique.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne