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Sale temps pour la Chine en Asie du Sud-Est

Le Premier ministre chinois Li Keqiang en visio-conférence pour un sommet virtuel "ASEAN + 3" le 14 avril 2020, avec le président indonésien Joko Widodo, le Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha, le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le président philippin Rodrigo Duterte, le Premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc et secrétaire général de l'ASEAN Lim Jock Hoi. (Source : The Diplomat)
Le Premier ministre chinois Li Keqiang en visio-conférence pour un sommet virtuel "ASEAN + 3" le 14 avril 2020, avec le président indonésien Joko Widodo, le Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha, le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) Tedros Adhanom Ghebreyesus, le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le président philippin Rodrigo Duterte, le Premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc et secrétaire général de l'ASEAN Lim Jock Hoi. (Source : The Diplomat)
L’influence dominante de la Chine en Asie du Sud-Est vient de subir deux revers importants. Les Philippines ont décidé de revenir sur leur décision d’abroger le traité militaire qui les lie aux États-Unis. Par ailleurs, le Cambodge refuse de céder à la marine chinoise le port en eau profonde de Ream qui fait face au Golfe de Thaïlande.
Ce mardi 2 juin, le président philippin Rodrigo Duterte a annoncé sa décision de maintenir en l’état « l’Accord sur les visites des forces » américaines (VFA). Signé en 1988, il donne aux forces aériennes et maritimes américaines un libre droit d’entrée dans les ports et les aéroports de l’archipel. En février, à la faveur d’un net rapprochement avec la Chine, le gouvernement philippin avait donné 180 jours aux États-Unis pour mettre fin à cet accord. Mardi, l’administration américaine s’est aussitôt félicitée de la décision du chef de l’État philippin. « Notre longue alliance a bénéficié aux deux pays et nous nous attendons à maintenir une coopération étroite dans les domaines de la sécurité et de la défense avec les Philippines », a souligné l’ambassade américaine à Manille. On se souvient des propos tenus par Rodrigo Duterte en avril 2018, alors qu’il entamait une visite officielle à Pékin en avril 2018 : « J’ai besoin de la Chine plus que quiconque en ce moment. J’ai besoin de la Chine. »
Le 1er juin, le Premier ministre cambodgien Hun Sen faisait quant à lui savoir que son pays renonçait définitivement à mettre à disposition de la marine chinoise la base navale de Ream, qui fait face au Golfe de Thaïlande au sud-est du Cambodge. En 2018, le quotidien américain Wall Street Journal avait révélé l’existence d’un accord secret conclu entre le Phnom Penh et Pékin qui prévoyait l’utilisation exclusive par la marine chinoise des installations militaires de la base de Ream. Cet accord, jamais confirmé par les autorités cambodgiennes, avait causé une certaine émotion à Washington car il donnait à l’Armée populaire de libération un accès privilégié et stratégique en Mer de Chine du Sud, à proximité immédiate du Vietnam. Le vice-président américain Mike Pence avait envoyé une lettre au chef du gouvernement cambodgien pour exprimer l’inquiétude des États-Unis.
Le 26 mai, l’Indonésie a, pour sa part, transmis une lettre au secrétaire général des Nations unies, António Guterres, dans laquelle Jakarta dénonce la présence chinoise le long de ses côtes en Mer de Chine du Sud. Jakarta estime que la fameuse « ligne en neuf traits » par laquelle la Chine revendique sa « souveraineté indiscutable » sur 3,5 millions de km2 dans cette zone, est « dénué de toute base légale ». Cette missive a été envoyée à la suite d’accrochages récurrents depuis février dernier entre la marine militaire chinoise et des bateaux de pêche indonésiens dans les eaux territoriales de l’archipel.
Rappelons que de vastes zones de la Mer de Chine du Sud, dont en particulier les îles Paracels et Spratleys, sont également revendiquées par le Vietnam, les Philippines, Taïwan, la Malaisie et Brunei.

Accord militaire indo-australien

Fin avril, les États-Unis avaient accusé la Chine de profiter de la pandémie de coronavirus et de ses conséquences pour renforcer sa présence en Mer de Chine du Sud. Washington avait exhorté Pékin à mettre fin à ses « manœuvres d’intimidation » dans la zone, traversée par l’une des principales voies maritimes pour le commerce international.
En toile de fond de ces annonces, l’Inde et l’Australie ont conclu le 4 juin un accord sans précédent qui prévoit le libre-accès réciproque aux armées des deux pays à leurs bases militaires dans le cadre « d’échanges militaires facilités » dans la région Indo-Pacifique. La Chine était là aussi clairement dans le viseur.
Conclu lors d’un sommet virtuel entre le Premier ministre indien Narendra Modi et son homologue australien Scott Morrison, l’accord prévoit en outre la possibilité pour les navires et les avions militaires indiens et australiens de se ravitailler dans les installations militaires des deux pays. Il s’ajoute à un accord similaire déjà existant entre l’Inde et les États-Unis.
Cet accord intervient alors que des accrochages ont eu lieu entre les forces armées indiennes et chinoises depuis début mai au Ladakh indien et au Tibet le long de la frontière commune entre les deux pays, longue de 3 488 kilomètres. La Chine et l’Inde auraient massé des renforts de 5 000 hommes chacun, ces dernières semaines, des deux côtés de la frontière.

Présence américaine « vitale »

Le 2 juin, le ministre indien de la Défense Rajnath Singh a déclaré que la Chine avait envoyé « un nombre significatif de personnels militaires » dans la zone contestée, tandis que le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian estimait lui que la situation était « stable et sous contrôle ».
Le 4 juin enfin, dans un article publié par la revue Foreign Affairs, le Premier ministre de Singapour Lee Hsien Loong est on ne peut plus clair : la présence américaine « demeure vitale pour l’Asie-Pacifique. En dépit d’une puissance militaire accrue, la Chine serait incapable d’y remplacer le rôle sécuritaire des États-Unis. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).