Il a été mon modèle et contre-modèle préféré...
Il a été mon modèle
et contre-modèle préféré...
Nguyễn Thế Phong
Au nom des deux familles Nguyễn et Nomain je vous remercie d'être là pour un dernier hommage à mon papa. C'est extrêmement touchant de voir autant de monde au moment même où il a tout fait pour partir discrètement, sur la pointe des pieds, vivant sa maladie comme un ermite dans une grotte, entouré de livres à la manière de ses héros de littérature. J'ai revu avec énormement de plaisir des visages de mon passé, de ma jeunesse. Merci encore d'être là aujourd'hui en ce moment douloureux.
Que dire de mon père au moment où je dois lui dire au revoir ? Pour moi
dans mes yeux d'enfant, c'était un personnage romanesque, haut en
couleurs, plein de paradoxes, avec un caractère plus large que la vie.
Quelqu'un qui s'est extrait de son humble condition paysanne, pour
venir faire ses études en France et finalement devenir enseignant à
l'université. D'ailleurs, Il n'arrêtait pas de me dire qu'il
était
fils de paysan pendant que moi j'étais fils d'enseignant... pour me
montrer le chemin parcouru. Dans la plus pure tradition vietnamienne.
Il ne laissait personne indifférent car quoi de pire pour lui que
l'indifférence. Apprécié ou détesté pas de demi-mesure avec lui.
Enseignant le jour, poète/journaliste maudit la nuit, fou de
littérature, souvent en colère, révolté contre les événements, la vie
et contre les autres. Joueur aussi que ce soit les échecs ou le poker,
il a vécu sa vie à fond en la brûlant par les deux bouts. Généreux dans
l'excès.
On croit connaître ses parents mais au final les connaît-on vraiment ?
Et si on les connaît les comprend-t-on vraiment ? J'ai essayé sans
toutefois complètement y parvenir. Que sait-on de la jeunesse de nos
parents, de leur rêves, de leurs douleurs cachées... ? Pas grand-chose
finalement. Ils nous ont et une autre vie commence pour eux et pour
nous. Mon père a toujours gardé une part de mystère.
Il a été en tout cas mon modèle et mon contre-modèle préféré, donc
toujours ma référence. Je vous laisse deviner en quoi : je suis très
calme, je ne fume pas, j'aime les débats intellectuels et la culture,
ainsi que les grands classiques, je ne bois pas, je ne joue pas,
j'adore les échecs et les chưởng.
C'est mon papa et j'en suis fier.
Au-delà de mon papa c'est finalement un hommage que je voudrais rendre
aussi à la génération qui nous a précédés... et qui commence à partir.
Au-delà des souvenirs personnels que je peux avoir avec mon papa, c'est
ausi beaucoup de souvenirs collectifs avec les tontons et tatas dont
certains sont présents aujourd'hui, des souvenirs qui m'ont forgé, qui
nous ont forgés tous les gens de ma génération. Je n'ai pas oublié et je
n'oublierai pas. Une génération arrivée très jeune en France dans
un
contexte de guerre au pays, qui a beaucoup beaucoup donné pour la cause
pendant et après la guerre. Beaucoup de sacrifices faits aussi pour
nous donner un avenir meilleur. C'est donc à mon père mais aussi à tous
ces compagnons de route que je pense aujourd'hui. A ma petite famille
mais aussi à la grande famille.
Merci papa et merci à tous pour ce bout de chemin fait ensemble. Le
voyage valait le détour.
Nguyễn Thế Phong
SOURCE : Texte lu par l'auteur aux obsèques de son père Nguyễn Văn Lư
(1945-2022) le 2 juin 2022. Diễn Đàn l'en remercie, au nom des “tontons et tatas”
absents et/ou mal-entendants.
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