Mon père
Mon père
Cao Huy Liên Tâm
Tant de belles choses ont déjà été écrites sur mon père : sur l’écrivain, le bouddhiste, l’homme engagé, l’ami qu’il était. Aujourd’hui c’est à mon tour de partager quelques pensées et souvenirs sur l’homme qu’il a été pour moi, le père, son rôle qu’il a tenu pendant la moitié de sa vie.
Lorsque j’étais enfant, par la grâce de son agenda d’enseignant, il était presque toujours à la maison. Très discipliné, je le voyais travailler sans relâche du matin jusqu’au soir. Nous essayions parfois avec mon frère de l’extraire de sa concentration par des pitreries dans son dos, en vain... Et à l’heure de la retraite, où il put enfin s’adonner pleinement à l’écriture, je l’ai vu lire et écrire avec cette même discipline. C‘est ainsi qu‘il m’apparaît, quand je pense à lui : assis dans un rayon de soleil, penché sur sa feuille, l’air concentré ; il ne fait pas de bruit, et je n’entends que le grattement régulier du stylo sur la feuille. Il était comme un tournesol dans la maison, s’installant à l’est le matin, à l’ouest l’après-midi.
Pour mon père, outre les livres, il y avait une seconde chose sacrée : la cuisine. A chaque visite le weekend avec mon mari et mes enfants, il sortait le tablier, troquait sa plume pour les baguettes et, avec tout son cœur, il œuvrait dur pour nous offrir un repas digne de la cour impériale de Huê. Nous nous mettions alors à table, mais lui attendait avant de démarrer : il préférait regarder ses petits-enfants se régaler. Plus ces derniers mastiquaient vite et bien, et plus il était heureux.
Dans la dernière période de sa vie, mon père a écrit à ma demande un petit recueil de courtes histoires autobiographiques pour ses petits-enfants, pour lorsqu’il ne serait plus là pour répondre aux questions que mes enfants ne se posent pas encore aujourd’hui. Ce recueil, écrit hâtivement en français, raconte l‘histoire du petit Toa, le surnom vietnamien de mon père, depuis son enfance à la campagne jusqu’à la naissance de son engagement politique, dans un Vietnam aujourd’hui disparu, ravagé par les guerres. Outre la valeur du témoignage, ce recueil m’a émue car j’ai retrouvé dans ces pages le papa conteur d’histoires de mon enfance.
Parmi les pages du recueil il y a un passage, dans lequel il relate son expérience de louveteau à 6-7 ans dans un mouvement improvisé de scouts, expérience pendant laquelle il a appris des valeurs qu’il appliquera toute sa vie. Je retiens ces quelques lignes :
“ Tous les dimanches donc, notre groupe de louveteaux distribue du riz aux pauvres. Sur le chemin du retour, nous chantons pour tromper les kilomètres des routes. L‘estomac vide, la gorge sèche, tant pis, on chante car il faut être “ joyeux, toujours joyeux, dans toutes les circonstances ”. La vie est souffrance, mais la vie est aussi joie.
Le vieux que je suis maintenant apprend sans cesse du louveteau qu’il était. Il chante, et il chante bien. “ Il faut être joyeux, toujours...”
Mon père avait des valeurs. Par l’exemple de ce qu’il était et de ce qu’il faisait, il m’a appris la bienveillance, la droiture morale et le courage, le pouvoir des idéaux.
Et en nous aimant profondément, il nous a montré où était le bonheur. J’ai compris alors que toutes ces années, le bonheur c‘était lui, c‘était nous, c‘était toutes les grandes et petites choses que nous offrait la vie. C’est cet enseignement que je garde de mon père et j‘espère que mes enfants le comprendront à leur tour.
La formule consacrée est de dire qu’il n’est plus. Mais ce n’est pas vrai : il est, en moi et il est, en chacun de ceux qui l’ont connu et de ceux qui l’ont lu. En cela, il continue de vivre.
Cao Huy Liên Tâm
NGUỒN : tác giả gửi Diễn Đàn ngày
17.7.2024
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