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Front National : dernier avertissement sans frais

- Nguyễn Quang — published 01/02/2016 17:25, cập nhật lần cuối 02/02/2016 23:28


FRANCE : Après les élections régionales de décembre 2015


Front National :

dernier avertissement sans frais



Nguyễn Quang




Aux élections régionales de décembre dernier, les sismographes ont enregistré un tremblement de terre politique en France, une sorte de réplique du séisme de 2002 qui avait vu le candidat du Parti Socialiste (PS) éliminé dès le premier round de la présidentielle. Cette fois-ci, au premier tour des régionales, le Front National (FN) est arrivé en tête dans plus de la moitié des 13 régions françaises, dépassant les 36% de suffrages dans le Grand Est (Champagne/Ardenne/Lorraine-Alsace), et même les 40% en Paca (Provence/Alpes/Côte d’Azur) et dans le Nord (Nord/Pas-de-Calais/Picardie). Même s’il n’a pas réussi à transformer l’essai au second tour, le parti lepéniste est tout bonnement devenu la première force politique française, avec près de 28% des voix, soit 7 millions d’électeurs au total. Il a triplé le nombre de ses élus régionaux, dépassant même le PS. S’il l’avait emporté en Paca et dans le Nord, il administrerait aujourd’hui directement 11 M de Français environ. Certes il ne s’agit (encore) que d’élections locales, mais avec la réforme récente des régions, ces nouvelles entités représentent désormais chacune, en moyenne, 6 M d’habitants et 7% du PIB national (voir cartes), et surtout, elles renforcent l’implantation institutionnelle et territoriale nécessaire au FN pour accéder au palier supérieur. Malgré d’inévitables accidents de parcours, la courbe de croissance du Front serait-elle inarrêtable ? 10% à la présidentielle de 2007, 18% à celle de 2012, 25% aux européennes de 2014, 26% aux départementales de 2015, 28% aux régionales de 2015… Faut-il rappeler qu’à la présidentielle de 1974, Jean-Marie Le Pen n’obtenait que 0,75% des suffrages, et qu’à celle de 1981 il n’arrivait même pas à rassembler les 500 parrainages nécessaires pour se présenter ; que le FN ne recueillait que 0,33% aux législatives de 1978, et ne comptait en 1980 que 270 adhérents ? Ce qui apparaît en négatif, décennie après décennie, c’est l’incapacité des partis traditionnels  à maintenir un cordon sanitaire autour d’une formation certes présentée comme anti-républicaine, mais dont ils peinent à cerner la vraie nature.


Les 13 nouvelles régions françaises

1.1 1.2


Le vote FN suivant les régions

2


Parce que le FN était né en 1972 des décombres de groupes éphémères émiettés entre Poujade et Tixier- Vignancour, entre Ordre nouveau, Action française et Occident, entre anti-communistes, néo-nazis, nationaux-révolutionnaires, nationaux-catholiques, négationnistes, révisionnistes, et nostalgiques de l’Algérie française, etc., on eut tôt fait de le classer commodément quelque part entre extrême droite et néofascisme. Une image certes justifiée par les éructations et dérapages de Le Pen père, mais depuis au moins 2005, c’est-à-dire bien avant son accession à la tête du FN en 2011, Le Pen fille s’est efficacement employée à dédiaboliser son parti pour le faire coller à un autre slogan fondateur : « socialement à gauche, économiquement à droite et, plus que jamais, nationalement de France ». Une telle persévérance dessine la stratégie d’un parti qui a maintenant plus à gagner en s’ancrant dans le jeu parlementaire qu’en se risquant dans des aventures séditieuses imitées des groupes factieux des années 1930. Elle exige en tout cas qu’on examine le projet lepéniste autrement qu’avec un logiciel dont les termes ne seraient pas clairement définis.


Extrême droite et fascisme


En France, la distinction gauche-droite à l’Assemblée nationale remonte au débat d’août 1789 sur le veto royal à la Constituante, les députés opposés à cette mesure se regroupant à gauche du président du bureau, et les partisans à droite. Cette répartition occasionnelle a perduré, au point de se confondre dans le langage commun avec l’opposition idéologique gauche-droite qui caractérise la vie parlementaire française. De ce point de vue, extrême droite (ou droite radicale dans le vocabulaire anglo-saxon) veut dire à droite de la droite, qu’on parle des doctrines politiques ou des sièges à l’Assemblée. D’après Wikipédia, « si les mouvements ou partis d'extrême droite sont divers, leurs socles idéologiques comportent des points communs : un patriotisme, un nationalisme et un traditionalisme encore plus poussés qu’à droite, un fort attachement à des valeurs nationales, identitaires, culturelles et/ou religieuses, et, parfois, un discours économique et social plus contestataire [contre le capitalisme ou le libéralisme] (…) De fait, l’extrême droite se distingue de la droite par une contestation du capitalisme, voire du libéralisme, mais s’en rapproche par sa vision pessimiste des institutions démocratiques. L’ordre spontané que les libéraux trouvent dans l’économie politique, c’est plutôt [pour l’extrême droite] l’unité organique de la nation, de la race ou de la communauté de croyants (…) La base électorale de l’extrême droite reste avant tout les milieux populaires : petits commerçants, artisans, ouvriers, etc. Elle suit en effet une ligne anti-élitiste (voire parfois contre-révolutionnaire), se distanciant ainsi de la droite conservatrice et libérale. »

Depuis la Seconde Guerre Mondiale, l’image de l’extrême droite en France est indissociable de ses accointances passées avec le fascisme italien et le national-socialisme allemand. Dans l’affrontement politique de l’après-guerre, il faut bien reconnaître que les deux camps opposés se renvoyaient à la figure des noms d’oiseaux, coco, facho pour disqualifier l’adversaire tout en se dispensant d’argumenter. Or qu’est-ce que le fascisme ? Toujours d’après Wikipédia, il s’agit « d’un système politique autoritaire qui associe populisme, nationalisme et totalitarisme (…) A la fois révolutionnaire et conservateur, il s’oppose frontalement à la démocratie parlementaire et à l’Etat libéral garant des droits individuels (…) Son modèle social est davantage centré sur la nation que sur les individus qui la composent. Il cherche à créer un groupe uni et solidaire, qui ait une identité forte. Il est donc primordial pour les fascistes de préserver l’homogénéité (ethnique, religieuse ou de classe) de cette collectivité nationale. Il s’agit pour cela de mobiliser des valeurs comme le patriotisme, les idéaux de rénovation nationale et de pureté. Il est donc nécessaire de faire naître un sentiment d’urgence, de désigner un ennemi commun cherchant à détruire le collectif et contre lequel le groupe tout entier doit se mobiliser. »

Bien entendu, certains traits (mais pas tous ensemble) de cette typologie se retrouvent dans d’autres extrémismes que l’extrême droite ou le fascisme. Il n’en reste pas moins intéressant d’en rechercher la trace dans le projet et l’action politiques du FN. Les discours électoraux n’engagent que ceux qui les écoutent, mais il faut reconnaître aux professions de foi lepénistes le mérite de la constance :

- depuis au moins la présidentielle de 2002, quand Jean-Marie, puis Marine Le Pen dénoncent « l’euro-mondialisme de Maastricht » et « l’idéologie libre-échangiste et arbitraire de Bruxelles », fustigent « le capitalisme financier planétaire » et « la marchandisation universelle », pourfendent « les apprentis sorciers de l’économie » responsables du démantèlement des services publics et de la crise financière, on croirait entendre des anti-capitalistes de gauche ou des souverainistes de droite, mais on peut aussi bien reconnaître la contestation du capitalisme-libéralisme que porte également l’extrême droite (voir plus haut). Certes les propositions alternatives du FN sont démagogiques et caricaturales, car non financées (on peut les consulter sur son site web), mais les enquêtes d’opinion montrent que la cohérence ou l’applicabilité de son programme économique ne sont pas le premier souci de ses électeurs (1).

- ce qui nous conduit à essayer de cerner cet électorat : une récente enquête (Ipsos du 08/12/2015) nous apprend que le FN a recueilli en 2015 les voix de 46,5% des ouvriers, 41,4% des chômeurs, 35% des agiculteurs, 34,8% des jeunes de 18-24 ans, 20% des plus de 60 ans… et 51,5% des policiers et militaires. L’examen statistique en fonction des diplômes et des professions (pictogrammes, même source) permet d’affiner ce constat : conformément à la typologie de l’extrême-droite, le vote frontiste est fortement ancré, pour employer la catégorisation en vigueur, dans les couches populaires et la classe moyenne paupérisée . Ce qui permet à l’éditorialiste Jacques Julliard (Marianne, 11/12/2015) de qualifier le vote frontiste « d’idéal rêvé de la sociologie bipolaire du marxisme : l’alliance du prolétariat et des classes moyennes contre les classes dirigeantes (…) constituées par les cadres moyens et supérieurs, les patrons, les bobos, les intellectuels à haut revenu. Sociologiquement, nous sommes dans la lutte des classes du milieu du XXe siècle. »

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4

Ce constat socio-politique s’appuie aussi sur une réalité socio-économique née de la crise rampante dans laquelle le pays se débat depuis des décennies. Un sondage d’Opinion Way de décembre 2015 vient de donner la liste des cinq problèmes qui préoccupent le plus les Français : dans l’ordre décroissant, le chômage, la sécurité, les impôts, l’immigration, et depuis peu, le terrorisme. Cette hiérarchisation se voit aussi sur le terrain, où la carte du vote frontiste recouvre en partie celle du chômage (au sens du BIT) : dans la grande majorité des cas, dans les départements où le chômage est au-dessus (respectivement au-dessous) de la moyenne nationale, le FN obtient un score supérieur (respectivement inférieur) à sa moyenne nationale. L'an dernier, une enquête menée par un cabinet de conseil à l'issue des municipales avait déjà abouti à la même conclusion : les scores moyens du FN dans les communes d’au moins 10.000 habitants étaient inférieurs à 14% (resp. supérieurs à 20%) quand le chômage n’atteignait pas 10% (resp. dépassait 12%). Une étude poussée des corrélations (au sens statistique du terme) en vue de hiérarchiser une quinzaine de variables explicatives potentielles du vote FN montrait même que la corrélation la plus forte résidait dans le taux de chômage. Accessoirement elle révélait aussi, en accord avec ce qu’on disait plus haut, que deux autres variables présentaient des corrélation parmi les plus probantes : les inégalités de revenus, surtout en retenant le rapport des deux déciles du bas et du haut, et la proportion de non diplômés (non scolarisés et sans aucun diplôme du secondaire ou du supérieur) – une caractéristique qui peut elle-même avoir un rapport avec le taux de chômage.

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Huffington Post, décembre 2014


Altérophobie et républicanisme


Toutes les caractéristiques, génétiques pourrait-on dire, relevées jusqu’ici révèlent le cousinage du FN avec l’idéologie ultra-droitière. Reste à examiner un symptôme essentiel que l’extrême droite partage avec le fascisme, l’obsession de « préserver l’homogénéité (ethnique, religieuse ou de classe) de la collectivité nationale ». Depuis toujours le discours lepéniste parle de « préparer l’avenir en reconstruisant le courant national », et pour cela, comme on l’a signalé plus haut, il fallait « faire naître un sentiment d’urgence, désigner un ennemi commun cherchant à détruire le collectif et contre lequel le groupe tout entier doit se mobiliser » : depuis le départ et pour toujours, semble-t-il, le bouc émissaire du FN, c’est l’immigration – les immigrés qu’on stigmatise, les immigrants qu’on rejette. En 1973 déjà, en vue des législatives, comme priorité numéro 3 derrière le scrutin proportionnel pour élire l’Assemblée et l’abrogation des accords d’Evian de 1962, le programme frontiste réclamait une réglementation très stricte de l’immigration. Dans sa campagne présidentielle de 1988, au cœur des thèmes traditionnels d’extrême droite tels que « l’ordre, le travail, la concorde », « la foi patriotique » dans la famille et à l’école, l’exaltation des « valeurs les plus sacrées », « la volonté d’agir contre le chômage, contre la crise économique et contre le socialisme qui les a engendrés », Jean-Marie Le Pen s’en prend à nouveau aux immigrés : pour réduire le déficit de la Sécurité sociale, il souhaite instaurer « des caisses séparées pour les Français et pour les étrangers » ; pour résorber le chômage, il propose d’organiser, « de manière élégante et humaine », le retour au pays de « 300 à 400 000 chômeurs immigrés »; à propos du sida, maladie « terriblement contagieuse (…) qui porte atteinte à l’équilibre de la nation », il préconise d’isoler les « sidaïques » du reste de la population. Presque un quart de siècle plus tard (août 2012), Marine Le Pen mettra les points sur les i en dénonçant « l’immigration bactérienne » et en suggérant d’expulser les immigrés au chômage depuis plus de trois mois. Les tropismes anti-juif et anti-arabe du père n’ont jamais fait de doute : à propos de l’Holocauste, qu’on se souvienne de ses dérapages sur le « détail de l’Histoire » ou sur « Durafour crématoire » ; à propos des immigrés, de son apostrophe contre le maire de Marseille, traité de Ben Gaudin et accusé d’ignorer « une immigration de masse qui tend à prendre l'allure d'une véritable colonisation ». Mais que la fille se laisse aller à de tels écarts en pleine entreprise de dédiabolisation, montre à quelle profondeur sont ancrés les fantasmes lepénistes sur l’immigration : invasion, coût social et économique, dumping salarial, chômage…

Car il s’agit de fantasmes, même Le Figaro en convient : « Les flux migratoires en France sont parmi les plus faibles d'Europe (200.000 migrants par an, deux fois moins que dans les années 1960) (…) Toutes les études économiques sérieuses [c’est nous qui soulignons] montrent que l’immigration a eu des effets positifs, sinon nuls, sur les comptes publics, le chômage et les salaires en France (…) L'immigration contribue à la performance économique de la France, elle fournit une réponse à des besoins en main-d'œuvre non pourvus, elle n’a pas d'impact sur les salaires globaux, elle a un impact quasi-nul , et même légèrement positif, sur les finances publiques » (14/09/2015). On n’entrera pas dans les détails – ce n’est pas ici le propos – sauf pour préciser qu’une étude sérieuse ne consiste pas seulement à rapprocher telles ou telles données chiffrées pour conforter une thèse, mais aussi à établir entre elles des corrélations (au sens statistique, voir plus haut), éliminer les biais potentiels, bien comprendre les ajustements macro-économiques, etc. (2). Dans les années 1980, la corrélation entre présence d’immigrés et vote FN était de 0,8 (sur un maximum de 1) à l’échelle départementale. Aujourd’hui, elle est rien moins que significative quand on confronte les deux cartes ci-dessous, en particulier en Ile-de-France, dans le Nord-Est et le Grand Est. L’historien et démographe Hervé Le Bras ose cette comparaison percutante : « On est dans le fantasme. Le phénomène est le même qu’en Pologne dans les années 1960 : l’anti-sémitisme existait alors qu’il ne restait plus que 150.000 juifs dans le pays. » (L’Express, 08/12/2015)

7.1  7.2

Le drame, c’est que quarante ans de crises larvées ou violentes ont rendu inaudible tout discours rationnel face aux slogans : d’abord l’identité nationale, puis la préférence nationale, puis bientôt (et même déjà, comme l’ont montré les tout récents incidents en Corse) On est chez nous !Les Arabes dehors ! Le virus discriminatoire que porte le FN peut aussi muter, comme quand, dans la foulée des attentats du 11 Septembre 2001, la stigmatisation s’est portée des immigrés en général vers les musulmans en particulier implicitement assimilés à des islamistes dans leur ensemble. Alors que le Front ne s’était jamais préoccupé de l’islam dans les années 1970, l’instrumentalisation de la laïcité dans les années 2000 lui a permis d’accoler l’immigration à la radicalisation religieuse. Mais quelles que soient les formes du rejet, son objet est toujours le même, c’est l’autre, celui qu’on tient pour responsable de toutes les difficultés, de sorte que le mot altérophobie nous semble plus adéquat que xénophobie ou racisme pour caractériser l’idéologie frontiste. Une idéologie qu’après examen, on peut qualifier sans conteste d’extrême droite – même si Marine Le Pen réfute cette étiquette qu’elle considère comme une « insulte » et une « guerre sémantique » contre son mouvement.

Mais fasciste ? Le FN n’est pas un parti factieux, lui qui essaie en vain depuis presque un demi-siècle d’accéder au pouvoir par les urnes. Rien que cela suffirait à lui conférer le label d’un parti parlementaire, sinon démocratique. Mérite-t-il pour autant le brevet de parti républicain décerné par Nicolas Sarkozy après le premier tour des régionales ? C’est un débat vieux comme un cours de Sciences Po., et dont l’ex-président se considère comme un expert depuis qu’il a fait rebaptiser l’UMP. La démocratie et la république ne sont pas totalement synonymes, et d’autant moins en France que le mot République (avec une majuscule) y est parasité par de multiples références historiques remontant à la Révolution. La démocratie est un régime politique où le pouvoir est détenu par le peuple (démos et kratia). Dans la forme moderne dite démocratie représentative, le peuple élit des représentants qui gouvernent en son nom. Le mot république vient de res publica, "le bien public ou la chose publique". Il signifie que les affaires de la cité, l'organisation de la vie en société, doivent être du ressort de chaque citoyen. Si la république peut ne pas se confondre avec la démocratie (qu’on pense aux anciennes – ou actuelles – Républiques populaires ou encore islamiques), la démocratie peut se confondre avec la république (par exemple en Allemagne ou aux Etats-Unis) comme avec la monarchie (par exemple en Belgique ou en Grande-Bretagne), ou avec d’autres types d’organisation de la société à partir du moment où le peuple est souverain et donc libre d’accepter le régime qui lui est proposé. En France spécifiquement, le terme République agrège à l’organisation politique un idéal de valeurs communes : « La République c’est un ensemble de valeurs que la loi de la majorité ne peut pas remettre en cause. La démocratie fait partie de ces valeurs mais aussi la séparation du spirituel et du temporel, la laïcité, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’égalité des chances, le refus du communautarisme. Choisir de vivre dans cette République impose l’acceptation de ces valeurs. » (François Fillon). Le Pen fille semble abonder dans ce sens dans son discours proncé au soir du premier tour des régionales : « Le FN est le seul à défendre une République authentiquement française. Il s’appuiera sur le rétablissement de ses valeurs fondatrices, la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité ». Mais cette profession de foi est une imposture. Clairement, toute forme de discrimination ou d’exclusion à l’encontre d’une communauté entière est contraire à la formule républicaine gravée au fronton des mairies de France. Tout aussi clairement, quand la petite nièce Le Pen explique dans le quotidien d’extrême droite Présent que les musulmans de France « ne peuvent pas avoir exactement le même rang que la religion catholique », elle fait fi de la laïcité. Et quand elle déclare dans un meeting à Toulon que l’identité française a été « façonnée par l’influence grecque, romaine, et seize siècles de chrétienté », on ne peut pas ne pas croire qu’elle fait fi du siècle des Lumières et de la Révolution française. En conséquence de quoi, il apparaît parfaitement légitime que les partis traditionnels (pas tous, voir ci-après) appellent à dresser un front républicain contre un Front National peut-être labellisé démocratique, mais certainement anti-républicain.


National-populisme


Les considérations socio-économiques précédentes, si elles établissent sans conteste le caractère ultra-droitier du FN, n’en souffrent pas moins d’un manque de perspective. L’explication mécanique par le chômage, par exemple, se heurte à un paradoxe : comment comprendre que des pays à faible chômage comme ceux de l’Europe du Nord (y compris le Danemark, pourtant censé être le champion du bien vivre) connaissent aussi une montée de l’extrême droite, alors que d’autres, à plus fort chômage et secoués par une crise bien plus violente qu’en France, comme l’Espagne ou le Portugal, y échappent ? Une perspective élargie semble d’autant plus nécessaire que, depuis le FPÖ de Jörg Haider en Autriche en 2000, puis la Ligue du Nord et l’ex-MSI en 2009 dans l’Italie de Berlusconi, la participation de partis ultra-droitiers à des gouvernements européens (majoritaires ou de coalition) tend à se banaliser : à l’ouest, en Belgique ; au nord, en Finlande, en Norvège, au Danemark ; à l’est, en Autriche, en Hongrie, en Pologne… Ces deux derniers pays se sont particulièrement distingués par leur dérive autoritaire, en décrétant ou en faisant voter des mesures attentatoires aux libertés fondamentales, en contradiction avec la législation communautaire… sans que Bruxelles réagisse autrement qu’en haussant la voix, sinon le sourcil.

La carte ci-dessous des extrêmes droites et droites radicales dans l’UE traduit certes des divergences idéologiques et stratégiques, comme l’indique sa légende, mais on peut vérifier que toutes ces formations exploitent des thématiques très voisines de celles du FN, se focalisant sur trois points de fixation : islam, immigration, insécurité. Dans son livre de 2007 L’Illusion populiste (3), le politologue Pierre-André Taguieff a proposé pour l’ensemble de ces mouvements l’appellation de national-populisme, même si elle accole deux mots à connotation usuellement péjorative. National-quelque chose en politique fait inévitablement penser au national-socialisme (nazisme), tandis que populisme évoque un certain mépris des élites politico-médiatiques à l’encontre d’un peuple en théorie souverain, mais non expert en pratique. Ceci dit, on peut dégager une typologie à plusieurs composantes : le populisme protestataire, caisse de résonance d’un mal-être social (voir la liste des principales préoccupations des Français précédemment citée) ; le populisme identitaire, crispation sur une identité nationale fantasmée (effet/cause de l’altérophobie examinée plus haut) ; le populisme patrimonial (d’après Dominique Reynié), c-à-d. la peur du déclassement, d’une population âgée qui craint de perdre ses avantages acquis, mais aussi de toute une classe de jeunes confrontés à un avenir incertain… Notons que cette typologie n’est pas limitée au Vieux Continent, et qu’aux Etats-Unis, elle s’applique aussi bien aux électeurs du Tea Party qu’aux partisans du promoteur-bateleur Donald Trump, actuel favori des primaires républicaines.

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NB. Le blanc de la Norvège sur la carte ne doit pas faire illusion. Le Parti du Progrès (FrP), populiste et anti-immigration, avait obtenu 24,3% des voix aux législatives de 2009 avant de retomber à 11,5% en 2011, suite au massacre de 77 militants de gauche perpétré sur l’île d’Utoya par Anders Breivik, un de ses anciens adhérents.


Dans national-populisme il y a nation, et l’on ne dira jamais assez l’importance des représentations liées à la nation dans le comportement politique. Il y a la « Grande Nation » universaliste inventée par une Révolution française qui a envoyé ses « missionnaires armés » libérer les peuples opprimés, ou plus pacifiquement, la volonté de créer, avec le modèle républicain, une société politique qui transcende les racines et les cultures. Et il y a l’affirmation en Europe, à la naissance des Etats-nations au 19ème siècle, de l’identité nationale en réaction à l’universalisme, c’est-à-dire en un principe de différence, et souvent d’exclusion, que ce soit par le droit du sol ou le droit du sang. C’est même l’exacerbation de cette affirmation qui a contribué aux boucheries des deux guerres mondiales, puis à la purification ethnique dans les Balkans dans les années 1990, et qui agite aujourd’hui les divers mouvements séparatistes qui menacent en Europe. Et puis il y a le “nationalisme de rétraction” du FN, défensif et protecteur, rétréci et recroquevillé sur une identité ethno-culturelle mythifiée, assiégée par la globalisation planétaire et les “invasions” migratoires. Faut-il rappeler la formule de Romain Gary : « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres » ? La construction européenne fut avant tout entreprise pour empêcher le retour de ce nationalisme-là. Robert Schumann ne disait-il pas : « L’Europe n’a pas été faite, nous avons eu la guerre » ? En guise de maison européenne commune, on eut malheureusement droit à une usine à gaz bricolée par des technocrates à l’usage des marchands et dans la méfiance des citoyens. De crises en renoncements, de velléités en impuissances, l’idée européenne est malheureusement devenue un véritable repoussoir, permettant aux national-populistes de se placer à l’avant-garde des eurosceptiques et des europhobes et en récolter les voix.

De tous les griefs faits aux institutions européennes, le plus redondant est sans doute le “déficit démocratique”. Les citoyens se sentent à juste titre dépossédés de leur vote quand ils voient par exemple comment les “élites” politiciennes ont détourné le “non” populaire au référendum constitutionnel de 2005 en un “oui” déguisé dans le traité de Lisbonne de 2007. Les peuples élisent un Parlement qui siège à Strasbourg sans grand pouvoir effectif, mais pas une Commission de Bruxelles aux pouvoirs exorbitants, du droit de fixer le calibre des tomates pour tout le continent à celui de négocier un traité transatlantique de libre échange (TAFTA) en laissant le public et le Parlement susnommé dans l’ignorance la plus totale. P-A. Taguieff (op. cit.) note qu’on postule que « les néo-populistes de droite européens, réduits à des rejetons de la vieille extrême droite, sont une menace pour la démocratie, alors qu’ils sont un symptôme du malaise démocratique. » On retrouve la même dépossession démocratique à l’échelle des pays européens pris séparément, singulièrement en France où depuis des décennies, le FN dénonce non sans raison l’Etat UMPS, entendez par là un système bipartite où certes les protagonistes s’opposent et alternent au pouvoir, mais dans une sorte de routine gestionnaire où ils ne produisent plus d’idées, ni de projets, ni surtout de roman national, seul antidote à une crise existentielle. Or le coup de semonce de décembre 2015 sonne comme un avertissement sans frais. Profitant de la tétanie politique et de l’atonie idéologique provoquées par la crise, le Front a réussi au fil des ans à gangréner l’ensemble du débat citoyen avec ses thèmes obsessionnels (identité nationale, préférence nationale), mais également à délivrer un package de réponses globalisantes, « une explication du monde totale, du coin de la rue à Raqqa en Syrie. Elle est fausse, elle ne résiste pas à l’analyse, mais elle est cohérente et fait écho à l’expérience quotidienne des gens. En face, les autres partis parlent d’inversion des courbes, d’indices, de désendettement, utilisent un jargon où il est question de pacte, de charte, de contrat. Ce discours est incompréhensible et ne prend pas » (Gaël Brustier (4), dans L’Express du 16/12/2015). Il faut se rendre à l’évidence, le FN bleu marine incarne désormais l’alternative sur l’échiquier politique. En face, depuis le temps, tout ce qu’on a réussi à faire, c’est bricoler à chaque élection une digue républicaine, mais qui craque et fuit de plus en plus, spécialement du côté de la droite sarkozyste. On se souvient que l’ex-président avait réussi à « siphonner les voix du FN » à la présidentielle de 2007, qu’il avait tenté de refaire le coup en 2012 en stigmatisant la communauté rom dans son funeste discours de Grenoble. Et qu’il a inventé la formule « ni, ni » qui autorise désormais la droite dure à faire la course-poursuite avec les thèmes lepénistes. En vain, tant il est vrai que les électeurs préféreront toujours l’original à la copie, comme le montrent les 12% de voix sarkozystes de 2007 qui ont migré vers (ou sont retournées chez) le FN. Plus perturbant, la levée des tabous a permis à l’extrême droite de siphonner à son tour des populations jusqu’ici réservées à la droite classique, par exemple chez les catholiques. Les sondages publiés dans Challenges, Le Point, Le Figaro, Le Pélerin, La Vie, La Croix, etc. montrent en particulier que la digue catholique bâtie sur les valeurs de l’Evangile s’est effondrée, quand l’ensemble des catholiques a plus voté pour le FN que l’ensemble des Français (32 % contre 27,8 %), et que le vote catholique pour l’UMP et ses alliés est tombé de 69% (aux départementales de mars 2015) à 56% (aux régionales de décembre) (5). Si l’on interprète cette évolution comme étant l’émergence d’un populisme chrétien, dans la mouvance de la Manif pour Tous (4) et qui vient s’agréger aux populismes déjà répertoriés plus haut, il y a lieu de s’inquiéter. Désormais, compte tenu d’une assise populaire aussi large, le vote frontiste ne peut plus être considéré comme un vote de protestation, mais d’adhésion. On pourrait croire à l’avènement d’un tripartisme à la française. Mais non, ce serait plutôt un bipartisme nouveau style, avec d’un côté le parti bleu marine, de l’autre l’opposition, incarnée tantôt par la gauche, tantôt par la droite (ou ce qu’il en reste). Certes, la conjoncture économique peut encore changer, par une sortie de la crise, par une inversion de la courbe du chômage, pour parler comme le président Hollande. Mais il faut bien dire – on en est là ! – que le rempart le plus solide reste le bon vieux système électoral à deux tours, qui empêche qu’un parti qui a seulement 30% de voix pour lui, et donc 70% contre lui, puisse jamais accéder au pouvoir . Mais cela aussi peut changer.


NGUYEN QUANG

janvier 2016





  1. Rien de nouveau sous le soleil. Dans les années 1950, le mouvement poujadiste se présentait devant les électeurs sans programme officiel, avec pour seul mot d’ordre « Sortez les sortants ! »

  2. Pour un examen scientifiquement rigoureux de la corrélation immigration-chômage, voir
    sebastien. villemot.name/chomage-immigration.html

  3. P-A. Taguieff, L’Illusion populiste. Essai sur les démagogies de l’âge démocratique, Paris, Flammarion, 2007

  4. Gaël Brustier, Le Mai 68 conservateur, coll. Essais, éd. du Cerf, 2014

  5. Pour des détails, notamment sur la distinction entre catholiques déclarés et catholiques pratiquants, voir www.challenges.fr › Politique › Élections régionales





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Ciné-club YDA: Bố già / Papa, pardon. 25/05/2024 16:00 - 18:15 — cinéma le Grand Action, 5 rue des Ecoles, 75005 Paris
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