Une atmosphère électrique
Une Atmosphère Électrique (*)
André Menras (1)
La région de
la mer dite de Chine que les Chinois appellent mer du Sud et les
Vietnamiens mer de l’Est est en passe de devenir un des points
chauds de la planète. Cette méditerranée du Sud
Est asiatique bordée par 10 nations baigne des centaines
d’îlots dont plus de deux cents sont répartis en
deux archipels les Paracels et les Spratleys. Cet espace maritime et
insulaire est d’une extrême importance stratégique
et économique : point de passage obligé pour les
tankers et autres cargos convoyant matières premières
et autres marchandises de l’Europe, de l’Afrique et du
Moyen Orient par le détroit de Malacca vers la Chine, la
Corée, le Japon. Ces eaux sont riches en ressources
halieutiques et les tréfonds marins pleins de promesses en
réserves de pétrole et de gaz naturel. Les Paracels, à
l’est des côtes du Centre Vietnam font l’objet
d’une revendication de souveraineté de la part du
Vietnam et de la Chine. Les Spratleys, en position plus centrale sont
revendiqués par sept états : Vietnam, Chine, Taïwan,
Philippines, Malaisie, Brunei et Indonésie.
L’histoire, le droit et la force
Concernant les
Paracels, autant sur le plan historique que sur celui du droit
international, il ne fait aucun doute que les droits souverains
reviennent au Vietnam. La revendication chinoise n’est pas
tenable devant l’arbitrage d’une instance internationale.
Pourtant l’archipel a été militairement phagocyté
par la Chine. En deux temps : en 1956 après la défaite
coloniale française et en 1974, au départ des
Américains. Pour l’archipel des Spratleys, la situation
est plus complexe mais la souveraineté du Vietnam est
également historiquement et juridiquement fondée sur un
grand nombre d’îlots et espaces maritimes attenants. Les
désaccords avec les pays partenaires de l’ASEAN (2)
pourraient être réglés à l’amiable
et dans l’intérêt mutuel. Mais « le Grand
frère chinois » ne l’entend pas ainsi. Après
avoir fait irruption dans la zone en 1988, exécutant
littéralement 74 marins vietnamiens, la marine de guerre
chinoise n’a cessé son grignotage des îlots.
Du
rongeur à l’ogre
Puis la Chine
est passée de la politique du rongeur à celle de l’ogre
: dissuasion des compagnies pétrolières étrangères
en contrat d’exploration avec les pays de la région,
dans les zones économiques exclusives de ces pays ; capture et
détention pendant de longues semaines d’équipages
de pêcheurs, confiscation des prises de pêches, des
chalutiers, tabassage des pêcheurs, libération contre
rançon demandée aux familles ; chalutiers éperonnés
et coulés ; interdiction unilatérale de la pêche
– pour les pêcheurs vietnamiens s’entend- de mai à
août dans toute la zone sous prétexte d’écologie.
Durant tout le mois d’avril, Pékin a déclenché des manœuvres aéronavales de grande envergure dans les Spratleys avec simulations de débarquement, largages de troupes, exercices de tir. Au niveau juridique les dirigeants de Pékin ont exposé en 2009 leur revendication officielle de souveraineté « incontestable » auprès de la commission de l’ONU sur le droit à la mer : 80% de la mer et la totalité des archipels Paracels et Spratleys. Ils viennent, en guise d’avertissement, de faire passer le message aux diplomates US : « la mer du Sud fait partie de l’« essence » du territoire national ». C’est-à-dire d’une zone pour laquelle ils sont prêts à engager des actions militaires comme pour le Tibet où pour Taïwan. Dans le même temps, la Chine refuse toute négociation claire et multipartite . Elle refuse catégoriquement d’appliquer la loi internationale des nations Unies de 1982 sur le droit à la mer. Bref, elle s’estime hors la loi et elle l’est vraiment, au sens propre du mot.
Situation du Vietnam face à la Chine
Le déficit
de la balance commerciale vietnamienne vis-à-vis de la Chine
est énorme. Plus de 50% des échanges commerciaux du
Vietnam sont réalisés avec la Chine. Le Vietnam est
littéralement submergé de produits chinois de toutes
sortes qui étouffent sa production et son artisanat. Les
grands projets d’exploitation minière sont
essentiellement trustés par des entreprises chinoises
soutenues vigoureusement par Pékin. Le secteur de la
construction est lui aussi profondément sinisé et la
main d’œuvre chinoise non spécialisée
commence à s’installer. Des centaines d’hectares
sont loués au business forestier chinois pour 50
ans…Quelquefois dans des zones stratégiques. Le lobby
chinois au sein des organismes de décision est puissant, très
influent.
«
Patience» bienveillante des autorités vietnamiennes
Dans cette
situation hautement alarmante pour l’indépendance du
Vietnam, les dirigeants vietnamiens sont de plus en plus coincés
entre les contraintes et prétentions de plus en plus
exorbitantes imposées par leur « amical » voisin
et la réaction de résistance, de fierté et de
survie de leur peuple. Ils ont longtemps étouffé dans
les médias qu’ils contrôlent les agressions en mer
de l’Est. Ils ont même suspendu des journaux , retiré
des articles, « démissionné » des
journalistes. Ils n’ont jamais encore diffusé
nationalement les conditions de capture et de détention de
leurs compatriotes pêcheurs ! Ils ont traité à la
chinoise les patriotes indignés les assimilant souvent à
des « forces réactionnaires au service de l’
étranger ». Ils ont même respectueusement ignoré
les lettres de mise engarde du général Vo Nguyen Giap,
légende centenaire de l’indépendance
vietnamienne, compagnon de la première heure du président
Ho Chi Minh…
Signes d’une réaction vietnamienne « dure »
Mais la position
n’est plus tenable car le déshonneur devient trop grand
pour un peuple à l’histoire patriotique aussi
flamboyante et à la personnalité si forte. L’évidence
économique est également incontournable : l’avenir
du pays, bande de terre quelquefois inférieure à 100km
de large mais de plus de 3000 km de côtes, est un avenir mort
si la mer lui est confisquée. Le Parti communiste du Vietnam
(PCV), parti unique a sans contexte le droit de revendiquer la gloire
du passé, mais il doit aujourd’hui prendre garde à
ne pas devoir assumer la honte du présent et la tragédie
de l’avenir.
Alors, devant
l’exhibition de puissance militaire déclenchée
par Pékin, le Vietnam a créé une nouvelle région
militaire, la région N°2, chargée de défendre
la zone maritime et insulaire du Centre au Sud du pays, ses pêcheurs,
ses installations, ses populations. Il tente de s’équiper
en armement moderne: destroyers, patrouilleurs, sous-marins, avions
de chasse, fusées, hélicoptères... Cette
nécessaire militarisation de survie aboutit encore un
étouffement supplémentaire de l’économie
et un énorme frein au développement.
La tension monte
Face à
l’apparente décision vietnamienne de résister,
les dirigeants chinois brandissent leur colère. Dans des
centaines de pages internet rigoureusement contrôlées
par Pékin on peut lire un article du 29 avril 2010 intitulé:
« La Chine doit employer la force militaire pour attaquer le
Vietnam perfide et cruel. » L’auteur y parle des
relations entre les deux pays comme celles « du paysan et du
serpent ». …On y lit : « la guerre
sino-vietnamienne de 79 n’a pas suffi pour donner au Vietnam
une leçon destructrice, nous devons agir radicalement pour
infliger au Vietnam une leçon inoubliable dans l’intérêt
durable de la Chine. ». Le même 29 avril, dans les
organes officiels du PC chinois que sont le « Global times »
et « Le peuple », on découvre un article au titre
éloquent : « La clé pour résoudre la
question de la mer de l’Est, c’est l’action. »
Après avoir présenté la Chine comme l’innocente
victime d’un pillage de ses ressources dans cette zone, par «
un certain nombre de pays », les auteurs exposent le danger : «
…les Etats-Unis, avec l’aide de leurs alliés de
Singapour et des Philippines ont augmenté leur présence
militaire persistante en mer de l’Est, tandis qu’ils
projettent leur retour dans la baie de Cam ranh ». Ils exposent
très froidement la stratégie chinoise d’occupation
tous azimuts. Enfin, ils concluent ainsi « La clé réside
en la décision d’oser ouvrir une brèche par
l’action concrète… »
De son côté, le 7 mai dernier, le président de l’assemblée nationale du Vietnam, Nguyễn Phú Trọng, N° 4 du bureau politique du PCV a appelé la marine à « être prête à coordonner ses forces de combat avec les autres corps pour mettre en échec toute attaque en direction de la mer ». Lors de la même cérémonie, le contre amiral Nguyễn Văn Hiến, a évoqué dans son discours le «devoir historique » de la marine vietnamienne qui est d’être « prête à combattre et combattre ».
Le 1er avril 2010, le président de la République M.Nguyen Minh Triet en visite dans l’île vietnamienne de Bạch Long Vĩ, à 70 miles au large de Hai Phong , avait été on ne peut plus clair : « En ce qui concerne notre frontière terrestre et maritime, nous voulons toujours la paix et l’amitié entre les deux peuples, entre les peuples qui font avec nous frontière commune… Nous voulons satisfaire ces aspirations sur la base de la négociation, des échanges, de l’action militante, des efforts de conviction... Nous n’aspirons à usurper les biens de personne mais nous ne cèderons pas un seul pouce de notre patrie. »
Enfin le 11mai à Ha Noi, à l’occasion de l’assemblée des ministres de la défense des pays de l’ASEAN (dont la Chine n’est pas membre) le ministre vietnamien, le général Phùng Quang Thanh a déclaré que la modernisation de l’armée était chose normale, pour une meilleure protection du pays et « constituaient une dissuasion ». Dissuasion : la première fois que ce mot était prononcé publiquement par un dirigeant vietnamien. Mais dissuasion contre qui ? Certainement pas contre les autres pays de l’ASEAN.
La menace d’une explosion militaire dans la région est bien réelle. Elle ne sera pas le fait des « petits » pays de l’ASEAN car aucun d’entre eux ne menace la Chine et n’a intérêt à le faire. Certainement pas le Vietnam. Mais il y a des limites aux menées prédatrices. Celles qui touchent à la survie des victimes. On peut aussi s’attendre à des réactions de la part des puissances concernées par la sécurité de la région
L’actuelle
dynastie chinoise osera-t-elle narguer plus avant les droits des
peuples et le droit international par la menace de ses 1 milliards
300 millions de sujets conditionnés, de sa bombe atomique et
de ses représailles économiques ? Parviendra-t-elle à
réactiver la vieille loi coloniale de la canonnière
avec la bénédiction des grands marchands internationaux
et de leurs représentants? En tout cas, personne parmi nos
éminents observateurs, experts et analystes ne peut dire qu’il
n’est pas informé car Pékin n’avance plus
masqué !
Tôt ou tard, à force de leurs
non-dits, de leurs reculades, de leur égoïsme, de leur
cupidité et de leur lâcheté, nous aurons nous
–même à subir chez nous les tragédies qui
se dessinent aujourd’hui ailleurs et que nous pouvons empêcher.
Munich n’est pas si loin et le monde est de plus en plus petit.
Si nous n’agissons pas pour le peuple du Vietnam et les peuples
alentour, faisons-le au moins pour nous.
ANDRE MENRAS (1)
(*) Article paru au journal La Marseillaise, le 17.5.2010. Xem bản tiếng Việt.
(1) Prisonnier pendant plus de deux dans les bagnes sud-vietnamiens pour avoir soutenu le mouvement de libération national. Auteur d’un dossier paru dans le n°86 de Recherches Internationales, avril –juin 2009 : « Laos, Cambodge et Vietnam, premiers dominos de l’expansionnisme chinois ? »
(2) Association des nations de l'Asie du Sud-Est
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